Métrique en Ligne
BAU_1/BAU52
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
SPLEEN ET IDÉAL
XLVIII
Confession
Une fois, une seule, aimable et douce femme, 12
À mon bras votre bras poli 8
S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme 12
Ce souvenir n’est point pâli) ; 8
5 Il était tard ; ainsi qu’une médaille neuve 12
La pleine lune s’étalait, 8
Et la solennité de la nuit, comme un fleuve, 12
Sur Paris dormant ruisselait. 8
Et le long des maisons, sous les portes cochères, 12
10 Des chats passaient furtivement, 8
L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères, 12
Nous accompagnaient lentement. 8
Tout à coup, au milieu de l’intimité libre 12
Éclose à la pâle clarté, 8
15 De vous, riche et sonore instrument où ne vibre 12
Que la radieuse gaîté, 8
De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare 12
Dans le matin étincelant, 8
Une note plaintive, une note bizarre 12
20 S’échappa, tout en chancelant 8
Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde 12
Dont sa famille rougirait, 8
Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde, 12
Dans un caveau mise au secret ! 8
25 Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde : 12
« Que rien ici-bas n’est certain, 8
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde, 12
Se trahit l’égoïsme humain ; 8
Que c’est un dur métier que d’être belle femme, 12
30 Et que c’est le travail banal 8
De la danseuse folle et froide qui se pâme 12
Dans un sourire machinal ; 8
Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte ; 12
Que tout craque, amour et beauté, 8
35 Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte 12
Pour les rendre à l’Éternité ! » 8
J’ai souvent évoqué cette lune enchantée, 12
Ce silence et cette longueur, 8
Et cette confidence horrible chuchotée 12
40 Au confessionnal du cœur. 8
logo du CRISCO logo de l'université