Métrique en Ligne
BAU_1/BAU139
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
SUPPLÉMENT AUX FLEURS DU MAL
III
Madrigal triste
I
Que m’importe que tu sois sage ? 8
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs 8
Ajoutent un charme au visage, 8
Comme le fleuve au paysage ; 8
5 L’orage rajeunit les fleurs. 8
Je t’aime surtout quand la joie 8
S’enfuit de ton front terrassé ; 8
Quand ton cœur dans l’horreur se noie ; 8
Quand sur ton présent se déploie 8
10 Le nuage affreux du passé. 8
Je t’aime quand ton grand œil verse 8
Une eau chaude comme le sang ; 8
Quand, malgré ma main qui te berce, 8
Ton angoisse, trop lourde, perce 8
15 Comme un râle d’agonisant. 8
J’aspire, volupté divine ! 8
Hymne profond, délicieux ! 8
Tous les sanglots de ta poitrine, 8
Et crois que ton cœur s’illumine 8
20 Des perles que versent tes yeux ! 8
II
Je sais que ton cœur, qui regorge 8
De vieux amours déracinés, 8
Flamboie encor comme une forge, 8
Et que tu couves sous ta gorge 8
25 Un peu de l’orgueil des damnés ; 8
Mais tant, ma chère, que tes rêves 8
N’auront pas reflété l’Enfer, 8
Et qu’en un cauchemar sans trêves, 8
Songeant de poisons et de glaives, 8
30 Éprise de poudre et de fer, 8
N’ouvrant à chacun qu’avec crainte, 8
Déchiffrant le malheur partout, 8
Te convulsant quand l’heure tinte, 8
Tu n’auras pas senti l’étreinte 8
35 De l’irrésistible Dégoût, 8
Tu ne pourras, esclave reine 8
Qui ne m’aimes qu’avec effroi, 8
Dans l’horreur de la nuit malsaine 8
Me dire, l’âme de cris pleine : 8
40 « Je suis ton égale, ô mon Roi ! » 8
logo du CRISCO logo de l'université