À Clara.
|
|
Oh ! les yeux adorés ne sont pas ceux qui virent |
12 |
|
Qu'on les aimait, — alors qu'on en mourait tout bas ! |
12 |
|
Les rêves les plus doux ne sont pas ceux que firent |
12 |
|
Deux êtres, cœur à cœur et les bras dans les bras ! |
12 |
5 |
Les bonheurs les plus chers à notre âme assouvie |
12 |
|
Ne sont pas ceux qu'on pleure après qu'ils sont partis ; |
12 |
|
Mais les plus beaux amours que l'on eut dans la vie |
12 |
|
Du cœur ne sont jamais sortis ! |
8 |
|
|
Ils sont là, vivent là, durent là. — Les Années |
12 |
10 |
Tombent sur eux en vain. On les croit disparus, |
12 |
|
Perdus, anéantis, au fond des destinées !… |
12 |
|
Et le Destin, c'est eux, qui semblaient n'être plus ! |
12 |
|
On a dix fois aimé depuis eux. — La jeunesse |
12 |
|
A coulé, fastueuse et brûlante, — et le Temps |
12 |
15 |
Amène un soir d'hiver, par la main, la Vieillesse, |
12 |
|
Qui nous prend, elle ! par les flancs ! |
8 |
|
|
Mais ces flancs terrassés qu'on croyait sans blessure |
12 |
|
En ont une depuis qu'ils respirent, hélas ! |
12 |
|
D'un trait mal appuyé, légère égratignure, |
12 |
20 |
Qui n'a jamais guéri, mais qui ne saignait pas ! |
12 |
|
Ce n'était rien… le pli de ces premières roses |
12 |
|
Qu'on s'écrase au printemps sur le cœur, quand il bout… |
12 |
|
Ah ! dans ce cœur combien il a passé de choses ! |
12 |
|
Mais ce rien resté… c'était tout ! |
8 |
|
25 |
On n'en parlait jamais… Jamais, jamais personne |
12 |
|
N'a su que sous un pli de nos cœurs se cachait, |
12 |
|
Comme une cantharide au fond d'une anémone, |
12 |
|
Un sentiment sans nom que rien n'en détachait ! |
12 |
|
Ce n'était pas l'amour exprimé qui s'achève |
12 |
30 |
Dans des bras qu'on adore et qu'on hait tour à tour. |
12 |
|
Ce n'était pas l'amour, ce n'en était qu'un rêve… |
12 |
|
Mais c'était bien mieux que l'amour ! |
8 |
|
|
Et sous tous ces amours qui fleurissent la vie, |
12 |
|
Et sous tous les bonheurs qui peuvent l'enivrer, |
12 |
35 |
Nous avons retrouvé toujours cette folie, |
12 |
|
A laquelle le cœur n'a rien à comparer ! |
12 |
|
Et nous avons subi partout l'étrange empire |
12 |
|
De ce rêve tenace, — et vague, — mais vainqueur, |
12 |
|
Et jusque dans tes bras, Clara, ce doux Vampire |
12 |
40 |
Est venu s'asseoir sur mon cœur. |
8 |
|
|
Tu ne devinas pas ce que j'avais dans l'âme… |
12 |
|
Tu faisais à mon front couronne de ton bras, |
12 |
|
Et de ton autre main qui me versait sa flamme |
12 |
|
Tu me tâtais ce cœur où, toi, tu n'étais pas ! |
12 |
45 |
Tu cherchais à t'y voir, chère fille égarée, |
12 |
|
Tu disais : « Tu te tais, mon bien-aimé ; qu'as-tu ?… » |
12 |
|
Je n'avais rien, Clara, — mais, ma pauvre adorée, |
12 |
|
C'est ce rien-là que j'avais vu ! |
8 |
|
|
Il se levait tout droit, ce rien, dans ma pensée. |
12 |
50 |
Ce n'était qu'un fantôme… un visage incertain… |
12 |
|
Mais des chers souvenirs de notre âme abusée |
12 |
|
Le plus fort, c'est toujours, toujours le plus lointain ! |
12 |
|
Perspective du cœur ardent qui se dévore, |
12 |
|
Le passé reculant brille plus à nos yeux… |
12 |
55 |
Et le jour le plus beau n'est qu'un spectre d'aurore, |
12 |
|
Qui revient rôder dans les cieux ! |
8 |
|
|
Et toi, tu l'as été, ce spectre d'une aurore, |
12 |
|
Dont le rayon pour moi ne s'éteignit jamais ! |
12 |
|
Mais toi, jour de mes yeux, ma Clara que j'adore, |
12 |
60 |
Tu n'as pas effacé cette autre que j'aimais ! |
12 |
|
Une étoile planant sur les mers débordées |
12 |
|
Se mire dans leurs flots et rit de leurs combats… |
12 |
|
Combien donc nous faut-il de femmes possédées |
12 |
|
Pour valoir celle qu'on n'eut pas ?… |
8 |
|