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Théodore de BANVILLE
LES STALACTITES
1843-1846
Chère, voici le mois de mai, 8
Le mois du printemps parfumé 8
Qui, sous les branches, 4
Fait vibrer des sons inconnus, 8
5 Et couvre les seins demi-nus 8
De robes blanches. 4
Voici la saison des doux nids, 8
Le temps où les cieux rajeunis 8
Sont tout en flamme, 4
10 Où déjà, tout le long du jour, 8
Le doux rossignol de l'amour 8
Chante dans l'âme. 4
Ah ! de quels suaves rayons 8
Se dorent nos illusions 8
15 Les plus chéries, 4
Et combien de charmants espoirs 8
Nous jettent dans l'ombre des soirs 8
Leurs rêveries ! 4
Parmi nos rêves à tous deux, 8
20 Beaux projets souvent hasardeux 8
Qui sont les mêmes, 4
Songes pleins d'amour et de foi 8
Que tu dois avoir comme moi, 8
Puisque tu m'aimes ; 4
25 Il en est un seul plus aimé. 8
Tel meurt un zéphyr embaumé 8
Sur votre bouche, 4
Telle, par une ardente nuit, 8
De quelque Séraphin, sans bruit, 8
30 L'aile vous touche. 4
Camille, as-tu rêvé parfois 8
Qu'à l'heure où s'éveillent les bois 8
Et l'alouette, 4
Où Roméo, vingt fois baisé, 8
35 Enjambe le balcon brisé 8
De Juliette, 4
Nous partons tous les deux, tout seuls ? 8
Hors Paris, dans les grands tilleuls 8
Un rayon joue ; 4
40 L'air sent les lilas et le thym, 8
La fraîche brise du matin 8
Baise ta joue. 4
Après avoir passé tout près 8
De vastes ombrages, plus frais 8
45 Qu'une glacière 4
Et tout pleins de charmants abords, 8
Nous allons nous asseoir aux bords 8
De la rivière. 4
L'eau frémit, le poisson changeant 8
50 Émaille la vague d'argent 8
D'écailles blondes ; 4
Le saule, arbre des tristes vœux, 8
Pleure, et baigne ses longs cheveux 8
Parmi les ondes. 4
55 Tout est calme et silencieux. 8
Étoiles que la terre aux cieux 8
A dérobées, 4
On voit briller d'un éclat pur 8
Les corsages d'or et d'azur 8
60 Des scarabées. 4
Nos yeux s'enivrent, assouplis, 8
A voir l'eau dérouler les plis 8
De sa ceinture. 4
Je baise en pleurant tes genoux, 8
65 Et nous sommes seuls, rien que nous 8
Et la nature ! 4
Tout alors, les flots enchanteurs, 8
L'arbre ému, les oiseaux chanteurs 8
Et les feuillées, 4
70 Et les voix aux accords touchants 8
Que le silence dans les champs 8
Tient éveillées, 4
La brise aux parfums caressants, 8
Les horizons éblouissants 8
75 De fantaisie, 4
Les serments dans nos cœurs écrits, 8
Tout en nous demande à grands cris 8
La Poésie. 4
Nous sommes heureux sans froideur. 8
80 Plus de bouderie ou d'humeur 8
Triste ou chagrine ; 4
Tu poses d'un air triomphant 8
Ta petite tête d'enfant 8
Sur ma poitrine ; 4
85 Tu m'écoutes, et je te lis, 8
Quoique ta bouche aux coins pâlis 8
S'ouvre et soupire, 4
Quelques stances d'Alighieri, 8
Ronsard, le poëte chéri, 8
90 Ou bien Shakspere. 4
Mais je jette le livre ouvert, 8
Tandis que ton regard se perd 8
Parmi les mousses, 4
Et je préfère, en vrai jaloux, 8
95 A nos poëtes les plus doux 8
Tes lèvres douces ! 4
Tiens, voici qu'un couple charmant, 8
Comme nous jeune et bien aimant, 8
Vient et regarde. 4
100 Que de bonheur rien qu'à leurs pas ! 8
Ils passent et ne nous voient pas : 8
Que Dieu les garde ! 4
Ce sont des frères, mon cher cœur, 8
Que, comme nous, l'amour vainqueur 8
105 Fit l'un pour l'autre. 4
Ah ! qu'ils soient heureux à leur tour ! 8
Embrassons-nous pour leur amour 8
Et pour le nôtre ! 4
Chère, quel ineffable émoi, 8
110 Sur ce rivage où près de moi 8
Tu te recueilles, 4
De mêler d'amoureux sanglots 8
Aux douces plaintes que les flots 8
Disent aux feuilles ! 4
115 Dis, quel bonheur d'être enlacés 8
Par des bras forts, jamais lassés ! 8
Avec quels charmes, 4
Après tous nos mortels exils, 8
Je savoure au bout de tes cils 8
120 De fraîches larmes ! 4
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