Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
LES STALACTITES
1843-1846
Décor
Dans les grottes sans fin brillent les Stalactites. 12
Du cyprès gigantesque aux fleurs les plus petites, 12
Un clair jardin s'accroche au rocher spongieux, 12
Lys de glace, roseaux, lianes, clématites. 12
5 Des thyrses pâlissants, bouquets prestigieux, 12
Naissent, et leur éclat mystique divinise 12
Des villes de féerie au vol prodigieux. 12
Voici les Alhambras où Grenade éternise 12
Le trèfle pur ; voici les palais aux plafonds 12
10 En feu, d'où pendent clairs les lustres de Venise. 12
Transparents et pensifs, de grands sphinx, des griffons 12
Projettent des regards longs et mélancoliques 12
Sur des Dieux monstrueux aux costumes bouffons. 12
Dans un tendre cristal aux reflets métalliques 12
15 S'élancent, dessinant le rhythme essentiel, 12
Vos clochetons à jour, ô sveltes basiliques, 12
Et sous l'arbre sanglant et providentiel 12
De la croix, sont éclos, enamourés des mythes, 12
Les vitraux où revit tout le peuple du ciel. 12
20 Stalactites tombant des voûtes, stalagmites 12
Montant du sol, partout les orgueilleux glaçons 12
Argentent de splendeurs l'horizon sans limites. 12
Babels de diamants où courent des frissons, 12
Colonnes à des Dieux inconnus dédiées, 12
25 Souterrains éblouis, miraculeux buissons, 12
Tout frémit : cent lueurs baignent, irradiées, 12
Les coupoles qui sont pareilles à des cieux. 12
Pourtant c'est le destin, voûtes incendiées ! 12
Le voyageur, ravi dans ce lieu précieux 12
30 Et sachant qu'une Nymphe auguste est son hôtesse, 12
Parfois sur vos trésors lève un œil soucieux. 12
Quel trouble appesanti sur leur délicatesse 12
Pare de la langueur mourante du sommeil 12
Ces merveilles du rêve, et d'où vient leur tristesse ? 12
35 Hélas ! l'ardent soleil de Dieu, le vrai soleil 12
Ne les éclaire pas de son regard propice 12
Et fait voler plus haut ses flèches d'or vermeil. 12
Sous un mont que jamais le lierre ne tapisse, 12
Vit cet enchantement qui tremble au son du cor, 12
40 Gardé par la caverne et par le précipice. 12
Mais (chère nymphe, ô Muse inassouvie encor, 12
Que devance le chœur ailé des Métaphores), 12
Pour installer ce rare et flamboyant décor, 12
Sous ces blancs chapiteaux et ces arceaux sonores 12
45 Où les métaux ont mis leur charme et leurs poisons, 12
Il a fallu les pleurs des Soirs et des Aurores. 12
Car, toi pour qui le roc orna ces floraisons 12
De rose, de safran et d'azur constellées, 12
Tu le sais, Poésie, ange de nos raisons, 12
50 Ces caprices divins sont des larmes gelées ! 12
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