Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
LE SANG DE LA COUPE
1857
Tristesse au Jardin
Un jour, elle passait dans le jardin en feu 12
Baigné par les zéphyres, 6
Et des bassins d'azur son petit soulier bleu 12
Effleurait les porphyres. 6
5 Ses pieds polis, pareils dans le bas irisé 12
A la neige qui tombe, 6
Parmi le sable d'or avaient l'éclat rosé 12
Des ailes de colombe. 6
Elle glissait au bord de ces flots murmurants 12
10 Et baignés d'harmonie, 6
Et portait la lumière en ses doigts transparents, 12
Comme une Polymnie ! 6
Comme en un lac dormant qui roule des trésors 12
Sous les rayons de lune, 6
15 Cent mille diamants s'allumaient dans les ors 12
De sa prunelle brune. 6
Qu'ils étaient beaux, les yeux de cette Alaciel 12
Plus belle et plus complète, 6
Ces yeux clairs et profonds où l'océan du ciel 12
20 Tout entier se reflète ! 6
On voyait vers leurs feux se courber les pistils 12
Des fleurs respectueuses, 6
Et cent reflets emplir les sourcils et les cils 12
D'ombres voluptueuses. 6
25 Et, comme les beaux seins par le flot arrosés 12
Des Naïades marines, 6
Le soir te rougissait de tons clairs et rosés, 12
Nacre de ses narines ! 6
Et, superbes d'orgueil, les blancheurs de ses dents, 12
30 Sous ses lèvres hautaines, 6
Ruisselaient de clartés comme les lys ardents 12
Penchés sur les fontaines ! 6
Ses lèvres, où luttaient l'amour et son ardeur, 12
Et les folles paresses, 6
35 S'entr'ouvraient aux rayons, tremblantes de pudeur, 12
Et pleines de caresses. 6
Ces pourpres, ces fraîcheurs, ces feux éblouissants 12
Confondaient leurs féeries, 6
Comme luttent d'éclat les boutons rougissants 12
40 Et les roses fleuries. 6
Et de sa bouche ardente et de sa lèvre en fleur 12
Mordant les belles lignes, 6
Folâtraient vaguement le duvet querelleur 12
Et les ombres des signes. 6
45 Comme dans ces jardins où la Jérusalem 12
De fleurs s'était parée, 6
Le parfum de ses pas, mieux que tout un harem, 12
Laissait l'âme enivrée. 6
Comme un oiseau s'envole, et laisse au firmament 12
50 Un bruissement d'ailes, 6
Sur ses pas murmurait un doux frémissement 12
De linge et de dentelles. 6
Et cherchant de son sein la neige et les brasiers 12
Parmi la robe close, 6
55 On sentait vaguement refleurir leurs rosiers 12
Sous le corsage rose ! 6
Et, sur son col de marbre et ses bras, assouplis 12
Par toute cette joie, 6
La brise et le soleil se disputaient les plis 12
60 De sa robe de soie ! 6
Mais, tandis que les bruits épars et les accords 12
De l'univers physique, 6
Sur ses pas, entraînés au rhythme de son corps, 12
Se changeaient en musique, 6
65 Les ruisseaux et les fleurs, le bosquet souriant 12
Et toute la Nature 6
Trembla de jalousie et de honte en voyant 12
Sa beauté calme et pure. 6
Le chêne, et sous ses pieds les myosotis bleus, 12
70 Jouets du vent rebelle, 6
Dirent en inclinant leurs fronts baignés de feux : 12
Mourons, elle est trop belle ! 6
Mourons ! dirent aussi dans leurs nids querelleurs 12
Les colombes éprises, 6
75 Puisque ses petits pieds, sans offenser les fleurs, 12
Volent comme des brises ! 6
Le saule dit : Mourez, feuilles des tristes vœux, 12
Le long de mes épaules, 6
Puisque le vent du soir aime mieux ses cheveux 12
80 Que les cheveux des saules ! 6
Fanez-vous, ô mes fleurs, dirent les fiers rosiers, 12
Puisqu'en ses lèvres closes 6
Sa bouche a des parfums dont sont extasiés 12
Les calices des roses. 6
85 Tombez, dirent les lys, ô blanches fleurs des rois ! 12
Les pâles avalanches 6
Ont des taches auprès de vos pétales droits, 12
Mais ses dents sont plus blanches ! 6
Mourons, dirent tout bas les filles des sculpteurs 12
90 Sous les branches des arbres, 6
Puisque sa chaste épaule et ses bras enchanteurs 12
Sont plus blancs que nos marbres ! 6
Bois-moi, dit au soleil en ses palais charmants 12
La tremblante rosée, 6
95 Puisqu'elle a de plus clairs et plus purs diamants 12
La prunelle arrosée. 6
Et, dans les clairs bassins, sous les grands peupliers, 12
Les Naïades se dirent : 6
Allons dans les palais de cristal oubliés 12
100 Où les Dieux se retirent ! 6
Et toi, mon bien-aimé, toi, soleil triomphant, 12
Sèche ma vague blonde, 6
Puisque sa joue en fleur et sa lèvre d'enfant 12
Sont plus douces que l'onde. 6
105 Le lierre dit : Brisez mes rameaux sans retour, 12
Dryades familières, 6
Puisque sa main vaut mieux pour enchaîner l'amour 12
Que les cent mains des lierres ! 6
Et toute la Nature, aux flancs d'herbe vêtus, 12
110 En qui tout est dictame, 6
Dit : Je meurs en pleurant tous mes charmes vaincus 12
Par une jeune femme ! 6
Mais elle répondit : Laisse mes pieds nacrés 12
Courir sur ta pelouse, 6
115 Baise ta fille au front, Nature aux flancs sacrés, 12
Et ne sois pas jalouse ! 6
Vous ne connaissez pas nos maux qui font mourir 12
Et nos peines secrètes : 6
Aimez-vous bien, soyez heureuses de fleurir, 12
120 O petites fleurettes ! 6
L'aurore aux doigts rosés reviendra tous les jours 12
Baiser les vagues blondes, 6
Et rien ne peut troubler les sereines amours 12
Du soleil et des ondes ! 6
125 Sous les grands cieux d'azur vous n'avez pas de toit, 12
Vous n'avez pas de chaînes : 6
Rien ne prive jamais la feuille qui la boit 12
De la sève des chênes ! 6
Les Déesses de marbre au regard contempteur 12
130 Plein d'amours éternelles 6
Chérissent à jamais l'harmonieux sculpteur 12
Qui les a faites belles. 6
Et vous, roses, et vous, reines des floraisons, 12
Les rayons d'or allument 6
135 Et refleurissent mieux à toutes les saisons 12
Vos baisers qui parfument. 6
O fleur, quand ton amant t'a choisie un matin, 12
Sans regrets tu l'accueilles 6
Parmi l'air parfumé de lilas et de thym, 12
140 Dans un beau lit de feuilles. 6
Sur ton cœur virginal, par l'amour embrasé, 12
Aucun regret ne pèse, 6
O ma sœur, et surtout jamais rien n'a baisé 12
La lèvre qui te baise. 6
145 Jamais, ô fleur, pas même à l'heure du trépas, 12
Tu n'es abandonnée ! 6
Tu meurs près d'un amant qui ne te laisse pas 12
Lorsque tu t'es donnée. 6
Il ne te laisse pas à ce plaisir amer 12
150 Des sanglots pleins de charmes, 6
Seule, avec le regret, profond comme une mer, 12
Des baisers et des larmes. 6
Il ne te laisse pas au souvenir flétri 12
Où notre lèvre avide 6
155 Se brûle, comme au bord d'un grand fleuve tari 12
Dont le lit serait vide ! 6
Il ne te laisse pas sur une couche en feu, 12
Soucieuse et lassée, 6
Le front pâle, mourir sans avoir dit adieu 12
160 Et sans être embrassée ! 6
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