Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
XCVI
Charivari
Strophes dites par mademoiselle Reichemberg
le 3 mai 1883
A la fête donnée chez Pierre Véron
pour le cinquantenaire du Journal.
Parisiens ! âme, sourire, 8
Beauté pareille aux lys fleuri, 8
Vous êtes tous, on peut le dire, 8
Les amis du Charivari! 8
5 C'est un révolutionnaire, 8
Dont nous allons, devoir bien doux, 8
Célébrer le cinquantenaire. 8
O ciel ! mais alors, direz-vous, 8
Il est vieux comme sainte Thècle, 8
10 Il a des ans subi l'affront ! 8
Oui, j'en conviens, un demi-siècle 8
A passé vivant sur son front. 8
Pourtant, sans peur et sans reproche, 8
Fidèle au but essentiel, 8
15 Il est jeune comme Gavroche 8
Et comme les moineaux du ciel. 8
Marchant toujours où l'on avance, 8
Où jamais l'espoir ne finit, 8
Votre pensée est la Jouvence 8
20 Où sans cesse il se rajeunit. 8
Toujours de ses prunelles claires 8
Fixant les cieux d'où vient le jour, 8
Il a vos espoirs, vos colères, 8
Vos superbes élans d'amour. 8
25 Voyez sa chevelure blonde, 8
Son regard de Suzanne au bain 8
Et son allure vagabonde : 8
Il a l'âge de Chérubin ! 8
Toujours haïssant le sévice 8
30 Des grands et des petits bourreaux, 8
Contre la Sottise et le Vice 8
Il s'escrime, comme un héros. 8
Son sourire que rien ne fane 8
Poursuit Turcaret dans son parc, 8
35 Et la flèche d'Aristophane 8
S'envole en sifflant de son arc ! 8
Et les Judas, les vils Alphonses, 8
Les filous dont l'œil s'effarait, 8
Tout ce qui rampe dans les ronces 8
40 Au bas de l'humaine forêt, 8
Le délateur, le traître horrible 8
Qui n'a pas connu la rougeur, 8
Tremblent quand cet enfant terrible 8
Leur apparaît, comme un vengeur ! 8
45 Il est noble et, si l'on y fouille, 8
Son passé fort bien réussi 8
Vaut bien celui des La Trémouille 8
Et des meilleurs Montmorency. 8
Car toujours, pour calmer sa fièvre, 8
50 Cet ennemi des plats valets 8
A trempé son ardente lèvre 8
Dans le verre de Rabelais. 8
Qu'il soit joyeux, nul ne le nie. 8
C'est là sa gloire ; mais parfois 8
55 Il eut avec lui le Génie, 8
Ce grand Warwick faiseur de rois ! 8
Parisienne ! blanche étoile 8
Dont l'éclat n'est jamais terni, 8
Ton charme divin se dévoile 8
60 Dans tout l'œuvre de Gavarni. 8
Ce symphoniste philosophe 8
A su dérouler les accords 8
De la mystérieuse étoffe 8
Sur les lignes de ton beau corps, 8
65 Et mieux que tous, il a su comme 8
L'émail de tes petites dents, 8
Empressé de mordre la pomme, 8
S'enfonce avec amour dedans ! 8
Daumier que la Satire mène, 8
70 Avec les Juvénals frayant, 8
A peint la Comédie Humaine 8
Ainsi qu'un Balzac effrayant ; 8
Et sous un pantalon précaire 8
Ivre de dandysme et d'orgueil, 8
75 A montré son Robert Macaire 8
Avec le bandeau noir sur l'œil ! 8
Puis, raillant la sottise plate, 8
Vint le gai, l'ingénieux Cham, 8
Dont la plaisanterie éclate, 8
80 Folle comme un coup de tam-tam ! 8
Mais c'est fini des épopées. 8
Des cocottes, pâles comme eux. 8
Invitent à leurs priapées 8
Un tas de funèbres gommeux. 8
85 Leur moisson qui n'était pas grasse, 8
Toujours s'appauvrit ; mais Grévin 8
A su trouver la triste grâce 8
De tout ce monde maigre et vain ; 8
Et nul n'a mieux peint les allures 8
90 Des insidieuses Laïs 8
Éparpillant leurs chevelures 8
Couleur de rose et de maïs. 8
Ainsi sous leur crayon s'allume 8
Tout un monde prodigieux. 8
95 Voilà qui va bien. Mais la plume ? 8
Elle a fait aussi de son mieux. 8
En ses colères indignées, 8
Charivari nargue le temps ; 8
Il a des verges à poignées, 8
100 Encor pour au moins cinquante ans. 8
Puis il aura le vent en poupe 8
Si votre amitié lui sourit, 8
Car, comme Riquet à la Houppe, 8
Vous savez donner de l'esprit ! 8
105 Donc, vous tous, buveurs d'ambroisie 8
Qui dédaignez le vin banal, 8
Aimez-nous, ô foule choisie ! 8
Et, saluant votre journal, 8
Pour fêter son cinquantenaire, 8
110 Qu'un applaudissement nourri 8
Fasse, avec un bruit de tonnerre, 8
Un immense charivari ! 8
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