Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
XCV
Le Palais-Royal
Strophes dites par mademoiselle Maria Legault
le 14 septembre 1880
pour l'inauguration de la nouvelle salle
Direction Briet et Delcroix.
Toi que le caprice emporte, 7
Public parisien, tu 7
Ne t'es pas trompé de porte : 7
Écoute mon impromptu. 7
5 Ce palais où tout flamboie, 7
Riant comme un prairial 7
Plein de lumière et de joie, 7
C'est bien le Palais-Royal. 7
Oui, viens chez toi, foule aimée ! 7
10 Après les temps révolus, 7
La vieille salle enfumée 7
Est morte : n'en parlons plus. 7
L'architecte Paul Sédille 7
A paré de cent trésors 7
15 Ce gai boudoir où tout brille, 7
Les lys, la pourpre et les ors. 7
Notre plafond, comme un astre, 7
Rit, par tes yeux savouré ; 7
Le savant peintre Lavastre 7
20 Broda son dôme ajouré, 7
Et dans l'air, qui s'extasie, 7
Lança, d'un vol indompté, 7
Le Rire, la Fantaisie, 7
La Chanson, la Volupté. 7
25 Partout des apothéoses, 7
Des enfants ensorceleurs, 7
Des feuillages et des roses, 7
Des ruissellements de fleurs, 7
Et, dans leurs jeux téméraires 7
30 Et leurs fiers ébats, Dalou 7
A sculpté partout les frères 7
De l'Amour, ce gai filou. 7
O Comédie ! ô Folie ! 7
Qui riez sur les néants, 7
35 Sa main, pour charmer Thalie, 7
Modela vos fronts géants, 7
Et, souffletant nos augures, 7
Vers un avenir voilé 7
Vous volez, saintes figures, 7
40 Dans l'idéal étoilé ! 7
Puis dans un cartel mystique 7
S'inscrit, au front du palais, 7
Le miraculeux distique 7
Du grand aïeul Rabelais. 7
45 Car c'est lui que veulent suivre 7
Nos auteurs, sans orgueil vain, 7
Et c'est lui qui les enivre 7
Avec son généreux vin. 7
Nos pères, dans leur souffrance, 7
50 Buvaient ce vin écumeux 7
Qui désaltéra la France, 7
Et nous le boirons comme eux ! 7
C'est ici qu'en son délire, 7
S'ouvrit aux grands histrions 7
55 La chère maison du Rire : 7
Donc, ô mes amis ! rions. 7
Notre passé fut si riche ! 7
Et, sans nul doute, on connaît 7
Nos maîtres : Sardou, Labiche, 7
60 Et Meilhac, et Gondinet ; 7
Halévy, plein de finesse ; 7
Siraudin et Delacour, 7
Thiboust, sourire et jeunesse 7
De la muse de l'amour ! 7
65 Puis, sous la clarté des lustres, 7
La comédie eut chez nous 7
Ses bouffons les plus illustres : 7
O souvenir triste et doux ! 7
Autrefois, jeune et frivole, 7
70 C'est ici que Déjazet 7
Égrenait sa chanson folle, 7
Et, comme un ruisseau, jasait. 7
Achard, qui charma la ville, 7
Tousez, qui n'était pas sot, 7
75 Leménil, le bon Sainville, 7
Et Levassor, et Grassot ; 7
Gil Pérès, hélas ! Thalie 7
A chéri ces grands railleurs 7
Pleins de verve et de folie ; 7
80 Moi, j'en passe, et des meilleurs, 7
Mais Émile Bayard groupe 7
Sur un panneau triomphant 7
Toute l'immortelle troupe 7
Qui commence à Mars enfant, 7
85 Et qui posséda naguère 7
Ces rois de notre métier 7
Armés pour la grande guerre : 7
Samson, Régnier et Potier ! 7
Puis, de cette époque sainte, 7
90 Ingénieux et malin, 7
Reste le bon Hyacinthe 7
Avec son nez aquilin ; 7
Et celui qui te déride, 7
Le grand, le vrai sage, effroi 7
95 De la bêtise candide : 7
L'inimitable Geoffroy ; 7
Geoffroy, qui jette et secoue 7
Sur les types qu'il revêt 7
Tant de lumière, et qui joue 7
100 Comme Molière écrivait ! 7
Et de tant de gloire éparse 7
Demeure aussi Lhéritier, 7
Qui des princes de la farce 7
Est le fidèle héritier ! 7
105 Puis, cher public qui m'accueilles, 7
Après les glorieux noms 7
Envolés comme des feuilles, 7
Tremblants d'espoir, nous venons. 7
Exempts de toute humeur noire, 7
110 Tu nous verras toujours gais, 7
Très sûrs de notre mémoire, 7
Contents, jamais fatigués. 7
Nous mettrons dans nos programmes 7
Tout, hors le genre ennuyeux. 7
115 C'est à toi seul que nos femmes 7
Feront ici les doux yeux. 7
Oui, nous ferons pour te plaire 7
Un effort quotidien ; 7
Mais donne-nous pour salaire, 7
120 Ami, ce que tu sais bien, 7
Et, par un doux bruit sonore 7
Charmant notre essai loyal, 7
Dis que nous sommes encore 7
Ton bon vieux Palais-Royal ! 7
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