Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
XCII
Les Tristes
Elles passent insolemment 8
Sur le dur tapis du bitume, 8
Appelant du regard l'amant 8
Qui pour un instant s'accoutume. 8
5 Comme hier et comme demain, 8
D'un pas tantôt lent ou rapide 8
Elles arpentent le chemin, 8
Calmes comme un bétail stupide. 8
Leurs corsages voluptueux 8
10 Provoquent des épithalames. 8
Alors des mortels vertueux 8
Passent, tenant au bras leurs femmes. 8
Oh ! disent-ils, voilà le ton 8
Donné par nos littératures ! 8
15 Tête et sang ! comment laisse-t-on 8
Sortir de telles créatures ? 8
Tels ces orateurs oublieux 8
Se courroucent, et leur flot passe. 8
Les Tristes les suivent des yeux 8
20 Et leur répondent à voix basse. 8
Ayant pour unique témoin 8
Le souvenir d'une heure tendre, 8
Elles disent, parlant de loin, 8
Comme s'ils pouvaient les entendre : 8
25 Oui, nous sommes joie et douleur ! 8
Mais n'ayez pas un air morose 8
En voyant nos lèvres en fleur 8
Aussi banales qu'une rose. 8
Troupeau docile et châtié, 8
30 Nous marchons là, troublantes Èves ; 8
Mais ayez un peu de pitié 8
Pour les fantômes de vos rêves. 8
Rasant toujours à pas furtifs 8
Les murs de pierres ou de briques, 8
35 Nous sommes des êtres fictifs 8
Créés par vos désirs lubriques ; 8
Vos bras difformes et velus 8
Sont ceux où nous nous reposâmes, 8
Et nous ne sommes rien de plus 8
40 Que les figures de vos âmes. 8
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