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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LXXXVII
Le Veau
Si j'en crois Gustave Claudin, 8
Et son livre assuré de plaire, 8
Où par un flamboiement soudain, 8
Le Paris d'autrefois s'éclaire ; 8
5 A l'ancien Café de Paris, 8
Où venaient, quittant leurs repaires, 8
Des gens qui n'étaient pas maris, 8
Gardes nationaux, ou pères ; 8
Roqueplan, cet esprit, Véron, 8
10 Cet homme à la panse étoffée, 8
Plus voluptueux que Néron, 8
Musset, beau comme un jeune Orphée ; 8
En cet endroit où s'échangeaient 8
Les diamants de la parole, 8
15 Ces grands Parisiens mangeaient 8
Du veau cuit à la casserole. 8
Et même, ô problèmes subtils 8
Qui tordent la raison humaine ! 8
Ce mets que chacun évite, ils 8
20 En mangeaient trois fois par semaine. 8
En quoi donc était fait ce veau ? 8
Quelle prophétesse Cassandre, 8
Quelle cuisinière au cerveau 8
Puissant, le cuisait sur la cendre ? 8
25 La casserole où se dorait 8
Ce veau charmeur qui nous fait honte 8
Et que le poëte adorait, 8
Fut-elle de cuivre ou de fonte ? 8
De pareils veaux ne cuisent plus ! 8
30 Ils sont entrés dans la nuit noire, 8
Parmi les âges révolus 8
Et catalogués par l'histoire. 8
Comme les amours de Bulbul, 8
Il est bien certain que ce mythe 8
35 Nous reporte à des temps où nul 8
Ne prévoyait la dynamite. 8
Mais c'est égal, veau décevant 8
Qui vers des extases m'élèves, 8
Je te reverrai bien souvent 8
40 Dans les chimères de mes rêves. 8
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