Métrique en Ligne
BAN_5/BAN273
Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LXXXI
Cigarettes
Donc, la reine de Taïti, 8
Si l'on n'a pas menti, 6
Nous apporte, en sa chevelure, 8
La fine dentelure 6
5 Et l'ombre et le parfum amer 8
De l'orageuse mer. 6
N'ayant plus du tout de royaume, 8
Libre de ce fantôme, 6
Elle vient admirer Paris, 8
10 Les houris, les souris, 6
Tout ce que notre ville étale 8
De grâce orientale 6
Et tous ces lys purs et troublants 8
Qu'on voit dans les bals blancs. 6
15 Sage pourtant comme une Hélène, 8
En sa robe de laine, 6
Et levant toujours vers les cieux 8
Ses yeux insoucieux, 6
On dit que la belle princesse 8
20 Fume, fume sans cesse, 6
Regarde naître et voltiger 8
Le nuage léger 6
Et se laisse conter fleurettes 8
Par mille cigarettes. 6
25 Humbles rimeurs, nous qui rêvons, 8
Certes, nous l'approuvons 6
Dans sa fumerie éternelle, 8
Et nous faisons comme elle. 6
Car bien clos, à l'abri des vents, 8
30 Songer sur les divans, 6
Fut toujours une douce chose ; 8
Respirer une rose, 6
Nous plaît ; boire un généreux vin, 8
C'est un régal divin ; 6
35 Lire Henri Heine ou Shakspere, 8
Cela vaut un empire ; 6
Tout va délicieusement 8
Pour le cœur d'un amant, 6
Quand un rayon de soleil dore 8
40 Les cheveux qu'il adore ; 6
On se plaît à ne rien prouver ; 8
Il est bon, pour trouver 6
L'anéantissement physique, 8
D'écouter la musique ; 6
45 Mais alors que le jour s'enfuit, 8
Dans le calme réduit 6
Qu'un tapis effacé décore, 8
Il est plus doux encore 6
De fumer, et de voir le feu, 8
50 Dans un nuage bleu, 6
Mettre de rouges collerettes 8
Au cou des cigarettes. 6
logo du CRISCO logo de l'université