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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LXXIV
Phémie
Un personnage de La Vie 8
De Bohème, l'avant-dernier ! 8
S'endort, suivant, âme ravie, 8
Le premier souffle printanier. 8
5 Au matin, sans doute endormie 8
En quelque rêve oriental, 8
Sachez que la pauvre Phémie 8
Est morte hier, à l'hôpital. 8
Elle eut toujours l'âme ingénue 8
10 Et les regards dans l'air flottants ; 8
Je suis de ceux qui l'ont connue 8
Dans l'ivresse de ses vingt ans. 8
En sa jeunesse, elle était rousse ; 8
Et fauve alors comme un lion, 8
15 Ressemblait, avec sa frimousse, 8
Aux Faunesses de Clodion. 8
En ce temps-là, c'étaient ses fêtes, 8
Marchant gaîment sur le carreau, 8
Elle venait chez les poëtes 8
20 Et buvait un peu de leur eau. 8
Bien plus tard, je l'ai retrouvée, 8
Laissant le vent rougir ses mains, 8
Et tout doucement arrivée 8
Où conduisent tous les chemins. 8
25 Elle n'était plus teinturière, 8
Pauvre jouet du destin fou, 8
Et même, son ardeur guerrière 8
S'était enfuie, on ne sait où. 8
C'était une petite vieille, 8
30 A qui l'âge n'avait donné 8
Qu'un peu de misère, et pareille 8
A l'enfant toujours étonné. 8
Ah ! ces existences amères 8
Et dont le seul matin fut doux, 8
35 S'envolent, comme des chimères, 8
Dans le vague lointain ; mais nous, 8
Joueur des flûtes inégales, 8
En nos rimes, nous caressons 8
Les frêles âmes de cigales 8
40 Qui ne surent que des chansons. 8
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