Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LXXII
Le Lion
Tandis que déjà voulant naître, 8
Et tout bas me dictant des vers, 8
Le bleu Printemps, qui nous pénètre, 8
Gonfle ardemment les bourgeons verts ; 8
5 A cette heure où tout le bocage 8
Est en pleine rébellion, 8
Je voyais marcher dans sa cage, 8
De long en large, le Lion. 8
Il allait, un rayon qui passe 8
10 Dans ses cheveux d'or ayant lui, 8
Comme s'il avait eu l'espace 8
Ouvert tout entier devant lui. 8
Comme sur la plage marine 8
Où les flots jettent leur concert, 8
15 Il ouvrait sa large narine 8
Pour humer le vent du désert. 8
On eût dit qu'il cherchait la vague 8
Et le mugissement du flot, 8
Et son long rugissement vague 8
20 Avait la douceur d'un sanglot. 8
Il marchait d'un pas circulaire 8
Et, près de toucher la cloison, 8
Il se retournait, sans colère, 8
Et repartait dans sa prison. 8
25 Raillant sa démarche rapide, 8
Les spectateurs, en son essor, 8
Trouvaient cet animal stupide, 8
Avec sa chevelure d'or. 8
Un bourgeois disait : Il me glace. 8
30 Oh ! que ne puis-je lui parler ! 8
Que ne demeure-t-il en place, 8
Puisqu'il ne peut pas s'en aller ? 8
Et de rire, dans l'auditoire. 8
Un autre disait : Tu me plais, 8
35 Marche encor, monstre ambulatoire ! 8
Moi, comme je le contemplais, 8
Dans la face de cet Achille 8
Ignorant le cruel Paul Bert, 8
Je crus voir briller l'œil tranquille 8
40 Et le clair regard de Flaubert. 8
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