Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LXXI
Vivre
Répandant l'ironie à flots, 8
Zola, dans son tragique livre, 8
Nous émeut, avec des sanglots, 8
Sur la joie affreuse de vivre. 8
5 Je ne suis pas de son avis. 8
Non, la vie est robuste et saine : 8
J'en atteste mes yeux, ravis 8
D'avoir vu l'éternelle scène ! 8
Enfant, ignorant de l'affront 8
10 Et de la trompeuse chimère, 8
Sentir se presser sur son front 8
Les divins baisers de sa mère ; 8
Jeune homme, ébloui par le jour 8
Et tout déchiré de blessures 8
15 Par les dents folles de l'Amour, 8
Chérir ses cruelles morsures ; 8
Puis s'éveiller, penser, vouloir, 8
Avoir des charbons sur la bouche 8
Et quitter le doux nonchaloir 8
20 Pour quelque tâche âpre et farouche ; 8
Devenir plus fort et plus pur ; 8
Savourer la souffrance même 8
Ouvrant pour nous un ciel obscur, 8
Ainsi qu'un céleste poëme ; 8
25 Aimer, sentir auprès de soi 8
La compagne chaste et fidèle 8
Qui chasse le troublant effroi ; 8
Voir son bon sourire, et près d'elle, 8
Cependant que fouettant l'air bleu, 8
30 Au dehors la bise soupire, 8
Dans un fauteuil, auprès du feu, 8
Lire le bienveillant Shakspere ; 8
O bonheur ! moment triomphant 8
Qui lave toute ignominie ! 8
35 Voir dans les yeux d'un cher enfant 8
S'allumer l'éclair du génie ; 8
Être un doux ouvrier soumis ; 8
Entrevoir Dieu dans la nature 8
Et causer avec ses amis 8
40 De l'immortalité future ; 8
Du doute qui nous désola 8
Faire l'espoir qui nous enivre, 8
Oh ! croyez-le, mon cher Zola, 8
Cela vaut la peine de vivre ! 8
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