Métrique en Ligne
BAN_5/BAN246
Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LIV
La Dame
Tandis que l'actrice brisée, 8
Parmi ses blancs camellias 8
Pleurait son amour méprisée ; 8
O toi, Muse qui la plias 8
5 A ton mystérieux délire, 8
Tremblante, comme tu la vois ; 8
Et tandis qu'un frisson de lyre 8
Passait dans sa mourante voix, 8
Tout frémissait comme une houle. 8
10 Ces douleurs, ces parfums, ces fleurs 8
Enchantaient l'âme de la foule ; 8
Tous les yeux étaient pleins de pleurs. 8
Comme Marguerite, en sa fièvre, 8
Sentait son regret la brûler, 8
15 Et de sa pâlissante lèvre 8
Son souffle prêt à s'exhaler, 8
Ouvrant une aile colossale, 8
Comme un hôte mystérieux 8
L'Ouragan entra dans la salle, 8
20 Avec ses souffles furieux. 8
Et comme la fille charmante, 8
Victorieuse du remord, 8
Semblait dire : Je suis l'Amante 8
Et la douce Vie et la Mort ; 8
25 Courbant et prenant pour jouet 8
Les éclairs du lustre et les flammes, 8
Comme un Mercure sous son fouet 8
Courbe le vain troupeau des Âmes, 8
L'Ouragan dit : Voix assassine, 8
30 Je suis l'orage essentiel 8
Et l'haleine qui déracine 8
Les grands chênes, voisins du ciel. 8
C'est moi qui tords l'arbuste frêle 8
Parmi des éclats fulgurants, 8
35 Et qui dans la même horreur mêle 8
Des noirs rochers et des torrents. 8
Pâles humains, vos pleurs, vos vies, 8
Votre obscur poëme rêvant, 8
Vos amours, d'angoisses suivies, 8
40 Sont comme la poussière au vent. 8
Votre pensive tragédie, 8
Palpitant devant un rideau, 8
Fait, dans la nature assourdie, 8
Moins de bruit qu'une goutte d'eau. 8
45 Sa plainte, pour qu'on l'applaudisse, 8
Avait séduit l'âme et les sens ; 8
Elle était comme une Eurydice 8
Proférant de divins accents. 8
Elle emplissait l'air et l'espace 8
50 De sa fière modernité ; 8
Mais elle se tait quand je passe, 8
Moi, la voix de l'éternité. 8
logo du CRISCO logo de l'université