Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
LII
Bal masqué
On peut voir des yeux de phosphore 8
Briller au bal de l'Opéra. 8
C'est bien moins loin que le Bosphore 8
Et que le faubourg de Péra. 8
5 Tous les ennuis sont prosaïques, 8
Et la vie est un promenoir. 8
Pourquoi pas sous les mosaïques 8
Se promener en habit noir ? 8
Plus d'allures dévergondées. 8
10 Sur le bel escalier géant 8
Les gens échangent leurs idées : 8
Rien du tout, contre le néant. 8
L'âpre musique des Tziganes, 8
Pensive comme le Destin, 8
15 Étonne et ravit les organes 8
Agacés par son bruit lointain, 8
Et jette, comme une caresse, 8
Dans l'âme de nos Dalilas, 8
Un vague désir de paresse, 8
20 Avec la chanson des guzlas. 8
Quant au passé, qui sous les lustres 8
Enchanta notre œil ébloui 8
Avec ses tordions illustres, 8
Tout cela s'est évanoui. 8
25 Chicard danse dans les étoiles ! 8
Et son plumet tressaille encor 8
Dans l'azur, et parmi les toiles 8
De ce vertigineux décor. 8
Pomaré, chaste en sa démence 8
30 Dont jamais nous ne nous lassions, 8
Danse un cavalier seul immense 8
Avec les constellations ; 8
Et raillant la lyre thébaine, 8
Musard aux pâleurs de safran 8
35 Agite son bâton d'ébène 8
Dans le farouche Aldébaran. 8
Strauss, poursuivi par les huées 8
Des astres au front curieux, 8
Emporte au milieu des nuées 8
40 Le sombre galop furieux ; 8
Et Gavarni, qui rêve encore 8
A leurs impudiques ardeurs, 8
Voit se confondre avec l'aurore 8
Les pourpres de ses débardeurs. 8
45 Masques, danseurs, satins, amantes, 8
Bacchantes du long corridor, 8
Mer, dont les vagues écumantes 8
Se roulaient comme un serpent d'or ; 8
Avec ta face inanimée, 8
50 Tu nous apparais, Carnaval, 8
Comme on revoit dans la fumée 8
Le spectre d'un combat naval ! 8
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