Métrique en Ligne
BAN_5/BAN237
Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
XLV
Juste retour
Rouges, roses, criant de joie, 8
Vêtus de velours et de soie, 8
Des petits garçons, chœur charmant 8
D'espérances réalisées, 8
5 Courent dans les Champs-Élysées, 8
Près de la vasque au flot dormant. 8
On dirait des fils de princesse. 8
Mais bien vite leur gaîté cesse 8
Devant un spectacle imprévu. 8
10 Un groupe de petites filles 8
Toutes pâles sous leurs guenilles, 8
Hélas ! voilà ce qu'ils ont vu. 8
Le vent rougit leurs omoplates. 8
On voit de leurs mornes savates 8
15 S'évader, comme un noir filou, 8
Le pied nu de ces vagabondes, 8
Et leurs cheveux, tignasses blondes, 8
Sont peignés au moyen d'un clou. 8
Les pauvres traîneuses de loques 8
20 Ont admiré les belles toques 8
Et les blonds cheveux des garçons, 8
Et contemplent, un peu jalouses, 8
Le velours doré de leurs blouses, 8
Où le zéphyr met des frissons. 8
25 Leurs prunelles s'emparadisent. 8
Mais les beaux petits garçons disent, 8
Courant, comme de jeunes daims 8
Parmi le vert gazon des plaines : 8
Comment laisse-t-on ces vilaines 8
30 S'égarer dans les beaux jardins ? 8
Or, s'attristant à leurs folies, 8
La vieille marchande d'oublies 8
Vient et leur parle. Elle a cent ans, 8
Et dans le fond de ses yeux vagues 8
35 Errent, pressés comme des vagues, 8
Les spectres des anciens printemps. 8
Oh ! dit-elle, chérubins roses, 8
La sagesse aux clartés moroses 8
Est ce dont je vous fais présent. 8
40 Ces fillettes aux dents pointues 8
Seront, quelque jour, mieux vêtues 8
Que vous ne l'êtes à présent. 8
Tout arrive, en ce monde infirme. 8
Un jour viendra, je vous l'affirme, 8
45 Où ces Gothons et ces Margots 8
Vous siffleront comme des merles 8
Et, pour rire, fondront vos perles 8
Dans leur vin de Château-Margaux. 8
Les diamants à leurs oreilles 8
50 Pendront, comme la grappe aux treilles. 8
Alors le temps aura marché, 8
Et c'est vous, ô jeunes microbes, 8
Qui leur achèterez des robes 8
Chez les Worths, plus cher qu'au marché ! 8
logo du CRISCO logo de l'université