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Théodore de BANVILLE
NOUS TOUS
1883-1884
XLII
Comédiens
Dans un chariot, sur la place 8
Où Mangin vendait ses crayons, 8
Casqué, poli comme une glace, 8
Dans la gloire et dans les rayons ; 8
5 Un autre guerrier, qui se hâte 8
Sous la pluie et ses arrosoirs, 8
Vend avec orgueil une pâte 8
Pour faire couper les rasoirs. 8
Et moustachu, nullement glabre, 8
10 Ingénieux à copier, 8
Il découpe avec son grand sabre 8
D'étranges portraits en papier. 8
Mais tout est changé, hors le site ! 8
Mangin, le héros sans remords, 8
15 A vu le flot noir du Cocyte. 8
Il est au rivage des morts. 8
Car suffit-il d'avoir le casque 8
Et le sabre, farouche engin, 8
Pour s'écrier d'un ton fantasque : 8
20 Je suis Ajax ! Je suis Mangin ! 8
Non, c'en est fait. Le cours des astres 8
Emporte dans ses flots vermeils 8
Les triomphes et les désastres 8
Des Césars et des Rois-Soleils. 8
25 Mais l'Histoire en vain se dépite 8
En embrouillant son écheveau, 8
Et la foule se précipite 8
Vers le comédien nouveau. 8
Comédien ? Eh oui, sans doute ! 8
30 Malgré les anges gardiens 8
Qui voudraient guider notre route, 8
Nous sommes tous comédiens. 8
Ayant la Mort pour spectatrice, 8
Tous, frappés du même fléau, 8
35 Nous jouons Hamlet et Jocrisse ; 8
Quelques-uns font les Roméo. 8
Tel, de qui la folie est douce, 8
Met sur sa poitrine un paillon, 8
Et parmi sa perruque rousse 8
40 Voltige un vague papillon. 8
Telle, aux allures inhumaines, 8
Pour laquelle nous ergotons, 8
Joue en riant les Célimènes, 8
Et telle autre fait les Gothons. 8
45 Tous, Frédéricks élémentaires, 8
Hypothétiques Beauvallets, 8
Font les Dieux, les rois, les notaires, 8
Les bouffons, les Turcs, les valets. 8
Tel fait le capitan farouche. 8
50 Moi-même, coiffé, sans humeur, 8
Du noir béret de Scaramouche, 8
Je joue un antique rimeur, 8
Déja courbé par l'âge impie 8
Et par son souffle meurtrier, 8
55 Qui tousse et fait de la copie 8
En remâchant un vieux laurier. 8
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