Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
AMÉDINE LUTHER
À Madame Anna Luther
Adieu, bras de neige, adieu, front de rose ! 10
Adieu, lèvre hier déclose ! 7
Amédine, hélas ! Notre cher trésor ! 10
Blanche, douce, enfant encor ! 7
5 Elle était rieuse, elle était vermeille, 10
Plus légère que l'abeille ! 7
Ses cheveux tombaient en flots triomphants, 10
Blonds comme ceux des enfants, 7
Et resplendissaient, fiers de leur finesse, 10
10 Sur ce front pur de déesse. 7
Ils prenaient dans l'ombre, et comme par jeu, 10
Des ruissellements de feu, 7
Et l'air se jouait parmi la dorure 10
De cette noble parure. 7
15 Ô pâle ornement d'un front sidéral, 10
Vapeur d'un or idéal ! 7
Nulle n'aura plus, nulle enfant au monde, 10
L'or sacré, la toison blonde 7
Qu'on voyait frémir autour de ton front ! 10
20 Jamais ils ne renaîtront 7
Ces rayons riants qui dans les ravines 10
Jetaient des lueurs divines, 7
Lorsque tu courais, avec tes seize ans ! 10
Ô mort farouche ! ô présents 7
25 Qu'ici-bas l'exil ne garde qu'une heure ! 10
Muse, gémis ! Lyre, pleure ! 7
N'est-ce pas hier qu'en sa voix passait 10
La tendresse de Musset, 7
Et qu'elle parut, foulant le théâtre 10
30 De son petit pied folâtre, 7
Si jeune, oh ! Si jeune, espoirs adorés ! 10
Avec ses cheveux dorés 7
Et sa voix naïve, et son front qui penche ! 10
Sa petite robe blanche, 7
35 Hélas ! Je la vois encor. Nous disions : 10
« l'ange des illusions, 7
C'est elle ! Jamais lèvre plus choisie 10
Ne versa la poésie. 7
Celle-ci n'est pas jeune pour un jour ! 10
40 Mais éclatante d'amour, 7
Pour jamais la grâce en fleur la décore 10
Comme le lys et l'aurore ! » 7
Et déjà, déjà, pauvre ange mortel, 10
Tu fuis dans l'horreur du ciel, 7
45 Dans l'immensité bleue aux sombres voiles 10
Où frissonnent les étoiles ! 7
Le lys est brisé. C'est fini. Plus rien 10
Qu'un fantôme aérien 7
Dont les cheveux blonds aux mourantes flammes 10
50 Caressent encor nos âmes. 7
Mais, va, jeune grâce aux yeux si touchants ! 10
Tu renaîtras dans les chants 7
Des rimeurs plaintifs qui savent encore 10
Éveiller le luth sonore. 7
55 Ils diront comment tu fus notre sœur 10
Par l'enfantine douceur, 7
Et comment ta voix eut l'attrait magique 10
D'une suave musique. 7
Amédine ! Aux champs tout la saluait, 10
60 L'églantine et le bleuet ! 7
Oh ! Rien qu'en disant ce nom d'Amédine, 10
Je la revois enfantine 7
Et riante ; l'air baisait son bras nu ; 10
Son petit cœur ingénu 7
65 Dans la forêt verte, où rit la pervenche, 10
Soulevait sa robe blanche. 7
Elle était la joie, elle était l'orgueil 10
De sa mère, que le deuil 7
Entoure à présent de crêpes funèbres ! 10
70 Ah ! Coulez dans les ténèbres, 7
Pleurs désespérés, pleurs silencieux ! 10
Quand les étoiles aux cieux 7
Scintilleront, moi j'évoquerai celle 10
Dont le front pâle étincelle. 7
75 Elle reviendra, mais, comme jadis, 10
Jeune enfant pareille au lys, 7
Libre en sa Bretagne, errante et sans chaînes, 10
Attentive aux bruits des chênes ; 7
Ou, comédienne aux riches habits, 10
80 Sous les éclairs des rubis 7
Et des robes d'or, semant sa parole 10
Pensive, ingénue et folle, 7
Et d'un pas léger grimpant le coteau 10
Du vieux parc cher à Wateau ! 7
85 Et plus tard, tous ceux dont la muse est reine, 10
À l'heure où la nuit sereine 7
Sur le front des fleurs met ses diamants, 10
Les rêveurs et les amants, 7
Écoutant avec le souffle des brises 10
90 Pleurer mes strophes éprises, 7
Reverront son pur visage, arrosé, 10
Neige en fleur, d'un feu rosé. 7
Et toi, lueur vive, aux reflets d'opale, 10
Ô toison, flamme idéale 7
95 Qui baignais de feu son col et ses bras, 10
À jamais tu brilleras, 7
Clair rayonnement, chevelure d'Ève, 10
Par mes vers ; car en mon rêve 7
Amédine vit, ange au front doré ! 10
100 Oh ! Que de fois je croirai, 7
Cherchant ses regards qui versaient les charmes, 10
Les voir à travers mes larmes ! 7
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