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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
CELLE QUI CHANTAIT
Voix solitaire, ô délaissée ! 8
Victime tant de fois blessée, 8
Chère morte dont l'âme eut faim 8
Et soif d'azur, ô Marceline, 8
5 Dors-tu, sous la froide colline ? 8
As-tu trouvé le calme, enfin ? 8
Quand, parmi la lente agonie, 8
La douleur, qui fut ton génie, 8
T'arrachait de tremblants aveux, 8
10 Le souffle du maître farouche 8
En passant déliait ta bouche, 8
Et frissonnait dans tes cheveux. 8
Pâle, vouée à ta chimère, 8
Tes dents mordaient la cendre amère ; 8
15 T'en souvient-il, t'en souvient-il, 8
À présent que tes yeux sans voiles 8
S'emplissent de flamme et d'étoiles ? 8
Tu n'acceptais pas ton exil ! 8
Tu t'écriais, inassouvie : 8
20 « Amour ! Je veux, dès cette vie, 8
Ton délire immatériel 8
Et tes voluptés immortelles : 8
Puisque l'âme a gardé ses ailes, 8
Il faut bien qu'on lui rende un ciel ! » 8
25 Non ! Tout désir qui nous déchire 8
N'est qu'un avant-goût du martyre ! 8
Non, l'univers déshérité, 8
Où toute vertu saigne et pleure, 8
Ne peut pas nous donner une heure, 8
30 Fût-ce au prix de l'éternité. 8
Qu'importe ! Marchons vers le rêve. 8
L'ange a beau secouer son glaive 8
Sur le seuil que cherchent nos pas, 8
Rôdons aux portes entr'ouvertes ! 8
35 Cherchons sur les cimes désertes 8
La rose qui n'y fleurit pas ! 8
Allons-nous-en vers le mirage ! 8
Écoutons à travers l'orage 8
La voix qui nous a désignés 8
40 Pour la félicité sereine, 8
Et que l'ombre à la fin nous prenne, 8
Vaincus, mais non pas résignés. 8
Vous le savez, brises fécondes, 8
Torrents qui roulez dans vos ondes 8
45 Une poussière d'astres clairs, 8
Cascades qui volez en poudre, 8
Sapins noirs brisés par la foudre, 8
Rochers mordus par les éclairs ! 8
Vous le savez ; et toi, nuit noire, 8
50 Tu le vois, ce n'est pas la gloire 8
Que suit le poëte aux beaux yeux. 8
Ce n'est pas pour elle, ô nature ! 8
Qu'il verse à la race future 8
Un flot de chant mélodieux. 8
55 Ce n'est pas lui qu'on rassasie 8
Avec cette vaine ambroisie ; 8
Et dédaigneux du laurier vert, 8
Au milieu de la multitude 8
Il garde la morne attitude 8
60 D'un sphinx regardant le désert. 8
Mais quand ses odes ingénues 8
Sur le front immense des nues 8
Devancent l'aigle et le vautour, 8
C'est qu'il dit à l'antre sonore 8
65 La brûlure qui le dévore, 8
Seulement altéré d'amour ! 8
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