Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
À AUGUSTE BRIZEUX
Poëte, il est fini l'âpre temps des épreuves. 12
Quitte nos solitudes veuves, 8
Et dors, libre et pensif, bercé par tes grands fleuves ! 12
Au milieu des brumes d'Arvor 8
5 Repose ! Ta chanson va retentir encor 12
Sur la lande où sont les fleurs d'or. 8
Heureux qui resta pur en ces âges profanes ! 12
Longtemps les jeunes paysannes 8
Répéteront tes vers, de Tréguier jusqu'à Vannes ! 12
10 Ton poëme, génie ailé, 8
Volera sur le Scorf et sur le doux Éllé, 12
Aux voix de leurs brises mêlé. 8
Oui, le repos est bon à l'homme qui travaille ! 12
Calme au sortir de la bataille, 8
15 Dors, celte aux cheveux blonds, honneur de la Cornouaille. 12
Je n'étais qu'un enfant joyeux 8
Lorsque tu vins, armé de l'arc mystérieux : 12
Alors je te suivis des yeux. 8
Et, tel que les héros à la belle chaussure, 12
20 Toi, tu lançais d'une main sûre 8
Les traits dont l'univers adore la blessure. 12
Savant artiste, comme moi 8
Tu chéris l'harmonie et son étroite loi : 12
Elle eut les trésors de ta foi. 8
25 Ô prodige inouï ! Magnifique mystère ! 12
Malgré ses liens, l'ode austère 8
S'envole, et ses pieds blancs ne touchent pas la terre. 12
Qu'un esprit saturé de fiel 8
Boive à sa coupe, où brille un vin substantiel, 12
30 Elle l'emporte au fond du ciel. 8
En vain ses préjugés aiguillonnaient ses haines. 12
C'en est fait, il n'a plus de chaînes : 8
Tu le sais, fils béni de la mer et des chênes ! 12
Ô Brizeux, nous pouvons mourir 8
35 Seuls, avant d'avoir vu les roses refleurir ! 12
Mourons sans pousser un soupir. 8
Amoureux du vrai bien, notre lyre sonore 12
Saluait le feu qui colore 8
Au lointain rougissant la merveilleuse aurore. 12
40 Nous avons frappé le vautour 8
Qui se gorgeait de sang dans les cœurs pleins d'amour ; 12
Nous avons crié : « c'est le jour ! » 8
Eh bien, que le vulgaire en ses funèbres fêtes 12
Accoure aux grandeurs qu'il a faites ! 8
45 Le bruit et la louange aiment les faux prophètes. 12
Nous, contents d'avoir mérité 8
Qu'elle n'ait pas pour nous un regard irrité, 12
Suivons la sainte vérité ! 8
Quand se déchirera sur le temple d'ivoire 12
50 La nuée orageuse et noire, 8
Elle se chargera d'éclairer notre gloire ; 12
Et, beaux de la haine du mal, 8
Elle nous donnera son reflet triomphal 12
Sur le seuil du ciel idéal ! 8
55 Mais, hélas ! Tant d'amis perdus à la même heure ! 12
Permets une fois que je pleure, 8
Muse ! Car le silence envahit ta demeure. 12
Ce prince parmi tes amants, 8
Le grand Heine périt au milieu des tourments, 12
60 Les mains pleines de diamants. 8
Ô déesse ! Il tomba sous le laurier insigne. 12
Puis l'ange implacable désigne 8
Musset pâle et sanglant, qui s'éteint comme un cygne. 12
Ô cher et sage paresseux ! 8
65 Et tous deux pleins de jours ! Et voici qu'après eux 12
La tourmente emporte Brizeux ! 8
Laisse-moi, laisse-moi le pleurer ! La nature 12
Allait bien à cette âme pure 8
Qui rêve maintenant sous une dalle obscure ! 12
70 Gémissez, fleuves qu'il chanta, 8
Terre dont la mamelle auguste l'allaita, 12
Izol, et toi riant Létâ ! 8
Oiseaux, feuillages, mer à la voix de tonnerre, 12
Qui jettes un cri funéraire, 8
75 Enchantez son sommeil : il était votre frère ! 12
Près de vous, au jour redouté, 8
Il se réveillera pour l'immortalité, 12
Brillant d'orgueil et de beauté. 8
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