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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
À GEORGES ROCHEGROSSE
Enfant dont la lèvre rit 7
Et, gracieuse, fleurit 7
Comme une corolle éclose, 7
Et qui sur ta joue en fleurs 7
5 Portes encor les couleurs 7
Du soleil et de la rose ! 7
Pendant ces jours filés d'or 7
Où tu ressembles encor 7
À toutes les choses belles, 7
10 Le vieux poëte bénit 7
Ton enfance, et le doux nid 7
Où ton âme ouvre ses ailes. 7
Hélas ! Bientôt, petit roi, 7
Tu seras grand ! Souviens-toi 7
15 De notre splendeur première. 7
Dis tout haut les divins noms : 7
Souviens-toi que nous venons 7
Du ciel et de la lumière. 7
Je te souhaite, non pas 7
20 De tout fouler sous tes pas 7
Avec un orgueil barbare, 7
Non pas d'être un de ces fous 7
Qui sur l'or ou les gros sous 7
Fondent leur richesse avare, 7
25 Mais de regarder les cieux ! 7
Qu'au livre silencieux 7
Ta prunelle sache lire, 7
Et que, docile aux chansons, 7
Ton oreille s'ouvre aux sons 7
30 Mystérieux de la lyre ! 7
Enfant bercé dans les bras 7
De ta mère, tu sauras 7
Qu'ici-bas il faut qu'on vive 7
Sur une terre d'exil 7
35 Où je ne sais quel plomb vil 7
Retient notre âme captive. 7
Sous cet horizon troublé, 7
Ah ! Malheur à l'exilé 7
Dont la mémoire flétrie 7
40 Ne peut plus se rappeler, 7
Et qui n'y sait plus parler 7
La langue de la patrie ! 7
Mais le ciel, dans notre ennui, 7
N'est pas perdu pour celui 7
45 Qui le veut et le devine, 7
Et qui, malgré tous nos maux, 7
Balbutie encor les mots 7
Dont l'origine est divine. 7
Emplis ton esprit d'azur ! 7
50 Garde-le sévère et pur, 7
Et que ton cœur, toujours digne 7
De n'être pas reproché, 7
Ne soit jamais plus taché 7
Que le plumage d'un cygne ! 7
55 Souviens-toi du paradis, 7
Cher cœur ! Et je te le dis 7
Au moment où nulle fange 7
Terrestre ne te corrompt, 7
Pendant que ton petit front 7
60 Est encor celui d'un ange. 7
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