Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LES TORTS DU CYGNE
Comme le cygne allait nageant 8
Sur le lac au miroir d'argent, 8
Plein de fraîcheur et de silence, 8
Les corbeaux noirs, d'un ton guerrier, 8
5 Se mirent à l'injurier 8
En volant avec turbulence. 8
« Va te cacher, vilain oiseau ! » 8
S'écriaient-ils. » ce damoiseau 8
Est vêtu de lys et d'ivoire ! 8
10 Il a de la neige à son flanc ! 8
Il se montre couvert de blanc 8
Comme un paillasse de la foire ! 8
Il va sur les eaux de saphir, 8
Laid comme une perle d'Ophir, 8
15 Blanc comme le marbre des tombes 8
Et comme l'aubépine en fleur ! 8
Le fat arbore la couleur 8
Des boulangers et des colombes ! 8
Pour briller sur ce promenoir, 8
20 Que n'a-t-il adopté le noir ! 8
Un fait des plus élémentaires, 8
C'est que le noir est distingué. 8
C'est propre, c'est joli, c'est gai ; 8
C'est l'uniforme des notaires. 8
25 Cuisinier, garde ton couteau 8
Pour ce Gille, cher à Wateau ! 8
Accours ! Et moi-même que n'ai-je 8
Le bec aigu comme un ciseau, 8
Pour percer le vilain oiseau 8
30 Barbouillé de lys et de neige ! » 8
Tel fut leur langage. À son tour 8
Dans les cieux parut un vautour 8
Qui s'en vint déchirer le cygne 8
Ivre de joie et de soleil ; 8
35 Et sur l'onde son sang vermeil 8
Coula comme une pourpre insigne. 8
Alors, plus brillant que l'Œta 8
Ceint de neige, l'oiseau chanta, 8
L'oiseau que sa blancheur décore ; 8
40 Il chanta la splendeur du jour, 8
Et tous les antres d'alentour 8
S'emplirent de sa voix sonore. 8
Et l'alouette dans son vol, 8
Et la rose et le rossignol 8
45 Pleuraient le cygne. Mais les ânes 8
S'écrièrent avec lenteur : 8
« Que nous veut ce mauvais chanteur ? 8
Nous savons des airs bien plus crânes. » 8
Il chantait toujours. Et les bois 8
50 Frissonnants écoutaient la voix 8
Pleine d'hymnes et de louanges. 8
Alors, d'autres êtres ailés 8
Traversèrent les cieux voilés 8
D'azur. Ceux-là, c'étaient des anges. 8
55 Ces beaux voyageurs, sans pleurer, 8
Regardaient le cygne expirer 8
Parmi sa pourpre funéraire, 8
Et, vers l'oiseau du flot obscur 8
Tournant leur prunelle d'azur, 8
60 Ils lui disaient : « bonsoir, mon frère. » 8
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