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Théodore de BANVILLE
Odes funambulesques
1857
OCCIDENTALES
OCCIDENTALE QUATRIÈME
LA TRISTESSE D'OSCAR
Jadis le bel Oscar, ce rival de Lauzun, 12
Du temps que son habit vert pomme était dans un 12
État difficile à décrire, 8
Et qu'enfin ses souliers, vainqueurs du pantalon, 12
5 Laissant à chaque pas des morceaux de talon, 12
Poussaient de grands éclats de rire ; 8
Du temps que son coachman, pâle comme un navet, 12
Se recourbait en plis tortueux, et n'avait 12
Plus de collet d'aucune sorte, 8
10 Aucun collet, pas même un collet né Révoil, 12
Et que son vieux chapeau, tout dépourvu de poil, 12
Prenait des tons de colle-forte ; 8
Ô misère ! Du temps que, tournant au lasting, 12
Son pantalon, pareil aux tableaux de drolling, 12
15 Avait ce vernis dont tu lustres 8
Le gilet fabuleux de Fontbonne et son frac, 12
Le bel Oscar disait à Paulin Limayrac, 12
Publiciste âgé de deux lustres : 8
« dieux ! Que ne suis-je assis dans le palais-bourbon ! 12
20 Quand pourrai-je appeler Ledru-Rollin : mon bon ! 12
Et dire en voyant Buloz : qu'est-ce ? 8
Et puis n'entendre plus dans quelque affreux recoin 12
Ce monstre me crier : tu n'iras pas plus loin ! 12
Quand je veux passer à la caisse. 8
25 « ah ! Paulin, si j'avais de quoi payer le cens, 12
Je connaîtrais aussi ces billets de cinq cents 12
Qui sont les pommes de nos èves, 8
J'aurais le rameau d'or qui dompte les tailleurs, 12
Et je verrais enfin des chemises ailleurs 12
30 Que parmi l'azur de mes rêves ! 8
« oui ! Je ferais remettre un verre à mon lorgnon ! 12
Paulin, j'échangerais ma panne et mon guignon 12
Contre l'aisance fantastique 8
Du baron de Rothschild, et, gagnant à ce troc, 12
35 Je peignerais alors mes moustaches en croc 12
Et j'y mettrais du cosmétique ! 8
« je dînerais chez Douix ! J'aurais des gants serins 12
Pour poser au balcon des théâtres forains, 12
Et, profitant de son extase, 8
40 J'abreuverais de luxe et de verres de rhum 12
Une divinité, reine des délass-com, 12
De Montmartre ou du petit-laze ! » 8
Ainsi parlait Oscar, l'âme et les sens aigris, 12
Du temps qu'il arborait ces vastes chapeaux gris 12
45 Empruntés à d'anciens fumistes, 8
Et que, plein d'amertume, il nettoyait ses gants 12
Avec ces procédés beaux, mais extravagants, 12
Qui sont la gloire des chimistes. 8
Il parlait, et ses yeux imitaient des poignards. 12
50 Aujourd'hui, grâce aux voix de cinq cents montagnards, 12
Le voilà sorti de l'ornière 8
Et Bignan le célèbre en d'officiels chants ; 12
C'est la rosette rouge et non la fleur des champs 12
Qui fleurit à sa boutonnière. 8
55 Il rayonne, il est mis comme un notaire en deuil. 12
Et cependant toujours parmi l'or de son œil 12
Brille une perle lacrymale ; 8
Il erre, les regards cloués sur les frontons, 12
Triste comme un bonnet, ou comme des croûtons 12
60 De pain, à l'école normale ! 8
Quel rêve peut troubler ce moderne Samson, 12
Qui sur le nez des siens pose, comme l'ourson, 12
Des discours carrés par la base, 8
Qui porte ses atours sur lui, comme Bias, 12
65 Et qui, dans les divers patois charabias, 12
Éclipse Charamaule et Baze ? 8
Ah ! Quelque fiel toujours gâte notre hydromel ! 12
Oui, quelque chose encore attriste ce Brummel 12
Qui, mettant chaque amour en cage, 8
70 Effaçait les exploits du chevalier d'Éon ! 12
Voilà ce qui l'agace : hier à l'odéon 12
Un voyou l'a pris pour bocage ! 8
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