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Théodore de BANVILLE
DANS LA FOURNAISE
Dernières Poésies
1892
Sous bois
Un malheureux, il est vrai, bachelier ès lettres, 12
Mais fort triste, nourri par les seuls hexamètres, 12
Et dans le bois riant, au milieu des ronds d'ifs, 12
Hanté par les supins et par les gérondifs, 12
5 Un loqueteux, marqué d'avance pour la tombe, 12
Ayant son habit noir plus blanc qu'une colombe, 12
Et tordu comme un cep de vigne, un avorton 12
Mal venu, tourmentait du bout de son bâton 12
Dans l'herbe drue et dans les fleurs, une charogne. 12
10 Ce lettré, mangé par la gale et par la rogne, 12
Disait — vain discours, moins murmuré que rêvé : 12
Que diable peut-on faire avec un chien crevé ? 12
Et songeait combien peu, dans cette pourriture, 12
Sourit le bifteck, cher à la littérature. 12
15 Et le Gueux, dont la peste aurait fait son époux, 12
Avec son autre main, libre, grattait ses poux. 12
A ce moment, parut la belle Cyprienne, 12
Glorieuse, avec sa démarche aérienne, 12
Qui, voyant le maudit, fit un geste d'horreur. 12
20 Mais il dit : En effet, madame, ce doreur, 12
Le matin rougissant, vous baise et vous caresse ; 12
Vous êtes Joie, Orgueil, Beauté, Grâce, Paresse ; 12
Vos regards fulgurants, pareils à deux brasiers, 12
Font palpiter d'amour les cœurs extasiés, 12
25 Et quand on voit les fleurs de vos lèvres éclore, 12
On croit facilement que vous êtes l'Aurore. 12
Votre chair est pareille à des fleurs de lotus. 12
Cléopâtre, sous la figure de Vénus, 12
C'est vous-même. C'est vous Hélène, aux jours de Troie. 12
30 Bienheureux le vainqueur dont vous êtes la proie ! 12
Sur votre sein charmant vous avez plus de lys 12
Que n'en ont eus Phryné, Cléopâtre et Laïs ; 12
C'est pour vous que Louis, Roi-Soleil, eût pris Dôle, 12
Et vous auriez été la femme de Candaule. 12
35 Vivre est délicieux, mais vous voir est plus doux. 12
Pourtant, rayon, clarté, perle, souvenez-vous 12
Que la rose est mortelle, et que tout se termine 12
Par de la pourriture et par de la vermine. 12
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