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Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
LXI
Villégiature
C'est le printemps, le printemps fou 8
Qui s'étend sur la terre dure, 8
Au milieu des airs flottants, où 8
Frissonne et frémit la verdure. 8
5 J'allai hier dans le bois profond 8
Où sur les noirs coteaux propices 8
Les feuillages révoltés font 8
Des gouffres et des précipices. 8
Et, montrant son front d'or vermeil 8
10 Là, je vis la Nymphe ingénue 8
Qui chauffait son ventre au soleil, 8
Enamourée et toute nue. 8
Printemps, ses regards adorés 8
Charmaient au loin toutes les choses, 8
15 Tandis que ses beaux seins dorés 8
Dressaient en l'air des pointes roses. 8
Parfois quelque Faune insolent 8
Venait la baiser sur la bouche. 8
Elle, avec un geste indolent 8
20 Recevait le baiser farouche. 8
Comme elle était de bonne humeur, 8
(Elle et moi, bien souvent nous rîmes), 8
Elle me dit : C'est toi, rimeur ! 8
Ce bois folâtre est plein de rimes. 8
25 Tu viens de Paris ; qu'y fait-on ? 8
Réponds-moi sans détour, Banville. 8
Mais, dis-je, le parfait bon ton 8
Règne toujours dans cette ville. 8
Ses femmes ont des airs divins 8
30 Et là, dans les hautes demeures, 8
Pour économiser les vins, 8
Nous prenons du thé, vers cinq heures. 8
Parfois pleuvent des livres tels 8
Qu'ils nous font l'effet d'une tuile ! 8
35 On nous expose des pastels 8
Et de nombreux tableaux à l'huile. 8
Amour, embusqué dans le parc 8
Monceau, rit, montrant ses gencives, 8
Et sans pudeur tire de l'arc 8
40 Sur les dames inoffensives. 8
Dans Paris, où l'on n'est qu'amant, 8
Les rieurs, malgré leurs blasphèmes, 8
Sont aimés plus que fréquemment. 8
Quelques-uns le sont pour eux-mêmes. 8
45 D'autres font voir l'idéal sous 8
Des espèces d'or plus solides, 8
Et tels sont aimés pour deux sous 8
Dans les fossés des Invalides. 8
Bien, me dit la Nymphe, le roi 8
50 Amour et le meurtre sont frères. 8
Mais, pour le moment, parle-moi 8
Des événements littéraires. 8
Car la paresse nous retient 8
Dans ce bois où fleurit la menthe. 8
55 Dis-nous un peu ce que devient 8
La politique ? — Elle est charmante, 8
Répondis-je. — Un calme zéphyr 8
Soufflait sur l'eau folle et changeante, 8
Ridant le ruisseau de saphir, 8
60 Qui parfois doucement s'argente. 8
Et des rayons d'or inouïs, 8
Ardents, brisant les saintes règles, 8
Déchiraient les cieux, éblouis 8
Par le vol effrayant des aigles. 8
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