Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
LVI
Carnaval
L'autre nuit, dans la clarté blonde, 8
Je vis au bal de l'Opéra 8
Un jeune homme du meilleur monde. 8
Son œil terne m'exaspéra. 8
5 Son habit, qu'en vain je m'excite 8
A glorifier sans remords, 8
Était noir comme le Cocyte 8
Qui roule son flot chez les morts. 8
Il obéissait à la règle 8
10 Et son prodigieux faux-col 8
Semblait vers les cieux, comme un aigle 8
Démesuré, prendre son vol. 8
Il était correct et puriste, 8
Uni comme le fond d'un val. 8
15 Cependant je lui dis : Quel triste 8
Costume, pour le carnaval ! 8
Le bonheur est avec les masques 8
Et les Arlequins onduleux 8
Venus des pays bergamasques. 8
20 Ils sont jaunes, rouges et bleus. 8
Il est bon de montrer son râble 8
Comme troubadour abricot, 8
Et c'est un plaisir adorable 8
D'être un Pierrot de calicot. 8
25 C'est une chose excitatrice 8
De prendre un veston vermillon 8
Pour se travestir en Jocrisse 8
Agrémenté d'un papillon. 8
Comme aux époques disparues, 8
30 Pour stupéfier les badauds, 8
Il est bon d'être un Turc des rues 8
Avec un soleil dans le dos. 8
Dans son allégresse éternelle 8
Que, soûlé par des vins troublants, 8
35 Quelque divin Polichinelle 8
Déshonore ses cheveux blancs ! 8
En de fabuleux amalgames, 8
Brûlés d'impudiques ardeurs, 8
On aime à voir, hommes et femmes, 8
40 Tourbillonner les débardeurs, 8
Et la fantaisie est complice 8
Pour qu'une Javotte aux seins lourds 8
De ses robustes flancs emplisse 8
Une culotte de velours. 8
45 Venu des lointaines bourgades 8
Comme un printemps en floraison, 8
Amour emporte ces brigades. 8
Brigadier, vous avez raison ! 8
A bas la sagesse vieillotte. 8
50 Puisque heureusement la chair est 8
Faible, quand le bal papillote 8
Comme une affiche de Chéret ! 8
Tel, raisonnable guitariste 8
Savant comme un procès-verbal, 8
55 Je parlais au jeune homme triste 8
Qui se promenait dans le bal. 8
Et je lui disais : Mince comme 8
Un caillou par l'onde aiguisé, 8
Réponds-moi, tranquille jeune homme. 8
60 Pourquoi n'es-tu pas déguisé ? 8
Et lui, rajustant son monocle, 8
Me dit : Poëte qui me suis, 8
Je suis droit comme sur un socle. 8
Mais pour déguisé, je le suis. 8
65 En quoi ? demande à Cidalise 8
Que charme ce jeu puéril : 8
En jeune homme qui s'analyse, 8
Et se regarde le nombril. 8
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