Métrique en Ligne
BAN_16/BAN678
Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XLV
Princesse
Les blonds Amours, chez vous tapis, 8
Jeanne, sifflent comme des merles, 8
Et vous marchez sur les tapis 8
Avec des pantoufles de perles. 8
5 Aussi riche qu'Ali-Baba, 8
Vous cachez vos roses fleuries, 8
Comme la reine de Saba, 8
Sous des robes de pierreries. 8
Endormeuse comme un Léthé, 8
10 Vous grignotez, en vos auberges, 8
Des ortolans pendant l'été 8
Et, quand vient l'hiver, des asperges. 8
Et froide comme un iceberg, 8
Vous demandez un peu d'extase 8
15 A quelque grand johannisberg 8
De chrysoprase et de topaze. 8
Mais, ô déesse, dont les pas 8
Auraient fleuri toute Cythère, 8
Vous le savez, on ne vit pas 8
20 Seulement de pain, sur la terre. 8
Princesse aux désirs indomptés 8
Que nul obstacle ne rature, 8
Vous savourez les voluptés 8
De la saine littérature. 8
25 Des poëtes, sachant ravir, 8
Tressent, en leurs beaux soliloques, 8
Des rimes d'or, pour vous servir 8
De colliers et de pendeloques. 8
Et des romanciers, nécromants 8
30 Dévoués à l'heur de vous plaire, 8
Fabriquent pour vous des romans. 8
On en tire un seul exemplaire. 8
Ainsi, vous ne pleurez jamais. 8
A vous servir tout met du zèle ; 8
35 Un zéphyr vous caresse. Mais 8
Avouez-le, mademoiselle, 8
Ces bonheurs vous semblent hideux 8
Auprès des maux que vous souffrîtes, 8
Du temps où vous mangiez pour deux 8
40 Sous de pommes de terre frites. 8
Car alors, ignorant le bain, 8
Vous aviez, fillette aux yeux pâles, 8
Treize ans, l'âge de Chérubin, 8
La bouche rose et les mains sales. 8
45 C'était en de charmants accords 8
Et dans la radieuse ivresse 8
Qu'on admirait sur votre corps 8
Vos petits haillons de pauvresse, 8
Vous aviez la saveur d'un fruit, 8
50 Et sur les places reculées 8
Des amants tressaillaient, au bruit 8
De vos savates éculées. 8
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