Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XLI
Noce
La nuit meurt. C'est bientôt l'heure 7
Frissonnante du matin, 7
Où dans les bois le vent pleure, 7
Doux et parfumé de thym. 7
5 Des soupeurs, faisant la guerre 7
A leur vieil ennui bavard, 7
S'ébattent dans un vulgaire 7
Cabaret du boulevard. 7
Et ces pâles noctambules 7
10 Montrent des visages blancs 7
Comme ceux des funambules 7
Avec leurs toupets tremblants. 7
Ils traitent des cocodettes 7
Pour qui ces plaisirs sont nuls, 7
15 Et qui songent à leurs dettes 7
Avec de profonds calculs. 7
Elles font de tristes moues 7
Sous de riantes couleurs, 7
Car les pastels de leurs joues 7
20 Sont comme un bouquet de fleurs. 7
C'est la fête qu'elles donnent 7
A leurs amants éblouis, 7
Et tout bas elles fredonnent 7
L'hypothèse des louis. 7
25 Leur fard éclatant rougeoie, 7
Et cependant, les soupeurs, 7
Sans désir comme sans joie, 7
Plus graves que des sapeurs, 7
Dans le bleu salon morose 7
30 Où leur ennui se tient coi, 7
Boivent du champagne rose, 7
En baisant n'importe quoi. 7
Des écrevisses farouches 7
Forment le fond du repas. 7
35 Elles emportent les bouches 7
Et ne les rapportent pas. 7
Et l'on mange aussi des pickles 7
D'un prodigieux élan, 7
Où l'on peut voir, sans bésicles, 7
40 Tous les monstres de Ceylan. 7
Sous le gaz jaune qui flambe, 7
Grande comme une Pallas, 7
Emma laisse voir sa jambe 7
Que l'on a tant vue, hélas ! 7
45 Séraphine devient tendre ; 7
Et Lise, dans un dessein 7
Qu'il est aisé de comprendre, 7
Montre les lys d'un beau sein. 7
Telle Cypris dans sa conque. 7
50 Puis, comme il faut accoucher 7
D'un vieux dénoûment quelconque, 7
Tous vont aller se coucher. 7
Non sans un peu d'amertume, 7
Chacun ayant fait ses frais, 7
55 Ils sortent sur le bitume, 7
Caressés par le vent frais. 7
Avec les vains simulacres 7
De s'être bien amusés, 7
Les voilà prenant des fiacres 7
60 Vieux et jusqu'à l'âme usés. 7
Redoutant le dieu féroce 7
Que désigne un arc vermeil, 7
Ils s'en vont, gens de la noce, 7
A l'heure où vient le Soleil. 7
65 Ils vont dormir, sous les toiles, 7
Un sommeil essentiel, 7
Car les dernières étoiles 7
Pâlissent au fond du ciel. 7
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