Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XXXVII
Deux tours
Emma dit au jeune étranger : 8
La tour Eiffel ? C'est inutile. 8
Car à quoi bon te déranger 8
Dans une intention futile ? 8
5 Tu pourras la voir à son tour 8
Sous le rayon d'or qui s'y vautre. 8
Mais je suis moi-même une tour, 8
Et je vaux parfaitement l'autre. 8
Je suis svelte et superbe aussi. 8
10 Tu me vois jaillir vers la nue, 8
Et la foule m'admire ici 8
Mieux que cette grande ingénue. 8
Comme elle, j'attache en effet 8
Ma parure avec des agrafes 8
15 Et, modèle insolent, j'ai fait 8
La fortune des photographes. 8
Je plais, même au chat de Salis ; 8
Nul rimeur ne m'a ravalée. 8
Je suis droite comme ces lys 8
20 Qu'on voit dans la douce vallée. 8
J'en conviens, l'autre a des appas 8
Que suit une ardente séquelle ; 8
Mais, jeune homme, je ne suis pas 8
Moins solide et moins dure qu'elle. 8
25 Rigide comme le Devoir, 8
Je surgis ! Reste dans la ville. 8
Tu n'as pas besoin, pour me voir, 8
Du chemin de fer Decauville. 8
Planant dans les cieux, le vautour 8
30 Ne fait aucune différence 8
Entre elle et moi. Donc, tour pour tour, 8
Accorde-moi la préférence. 8
Telle, avec un peu de rougeur, 8
Emma, non sans littérature 8
35 S'expliquait, et le voyageur 8
Admirait sa belle structure. 8
Il pensa : Quo non ascendam ? 8
Ayant avalé quelques verres 8
D'un bon genièvre d'Amsterdam, 8
40 Qui rend les âmes peu sévères. 8
Et dardant son œil de gerfaut, 8
Il cria comme une fanfare : 8
Vous êtes la tour qu'il me faut, 8
Et je m'éclaire à votre phare. 8
45 Pur comme Diaz de Bivar, 8
Je suis né sous un grand ciel rose, 8
Dans le département du Var 8
Qu'un furieux soleil arrose. 8
J'arrive, en effet, de Fréjus. 8
50 Près de vous mon désir énorme 8
Naît, palpite, et veut grimper jus- 8
Qu'à la seconde plate-forme. 8
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