Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XXXI
Névrose
Névrose tortille des fleurs, 8
Comme une étonnante fleuriste. 8
Avec ses prunelles en pleurs, 8
Névrose est une dame triste. 8
5 Ses fureurs de Phèdre aux abois 8
Sont dans les crimes impliquées ; 8
Elle songe aux fraîcheurs des bois 8
Avec des amours compliquées. 8
Ayant le Crime pour vizir, 8
10 Misanthrope comme un Alceste, 8
Elle traîne son long désir 8
De l'ode sapphique à l'inceste. 8
En son long peignoir entr'ouvert 8
Aussi pâle qu'une orpheline, 8
15 Dans un verre de cristal vert 8
Elle boit l'absinthe opaline. 8
Sur les horreurs de son destin, 8
Elle gémit comme l'hyène, 8
Et dans les plats de son festin 8
20 Met du picrate et du cayenne. 8
Livrée à ses vagues tourments, 8
Le seul plaisir qui l'éperonne, 8
C'est de feuilleter des romans 8
Où fleurit le mot de Cambronne. 8
25 Comme elle dédaigne Amadis 8
Et tout Chérubin qui respire 8
L'air fortifiant ! — Mais tandis 8
Qu'elle soupire et qu'elle expire, 8
Bien mieux informé que Dangeau, 8
30 Avec son regard qui fascine 8
Apparaît le grand Tourangeau, 8
Le bon docteur en médecine. 8
Il lui dit, sachant l'aguerrir : 8
Névrose gracieuse et fine, 8
35 Dédaigne, si tu veux guérir, 8
L'antipyrine et la morphine. 8
Voltige comme un papillon, 8
Car c'est le remède efficace, 8
Des vers endiablés de Villon 8
40 Aux contes joyeux de Boccace. 8
Laisse ton cou libre dans l'air ! 8
Ôte ce boa de vigogne 8
Et, prompte comme un vif éclair, 8
Vide un grand verre de Bourgogne. 8
45 Sur la colline et le ravin 8
Ouvre ce peignoir que tu fripes. 8
Tout en savourant le bon vin, 8
Mange des boudins et des tripes. 8
Et sagement, diligemment, 8
50 Pour voir ta douleur apaisée 8
Donne aux lèvres de ton amant 8
Ta bouche mille fois baisée. 8
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