Métrique en Ligne
BAN_16/BAN659
Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XXVI
Tour Eiffel
Tour Eiffel, grandis, monte encore 8
Dans la lumière et dans l'aurore, 8
Dans les éthers silencieux. 8
Née entre les pieds noirs d'Hécate, 8
5 Monte, grande fleur délicate, 8
Mets ton front dans les sombres cieux. 8
Car un génie au cœur de flamme 8
Fouille la terre jusqu'à l'âme 8
Et jusqu'aux portes de l'enfer, 8
10 Et pour préparer à la France 8
Le nid joyeux de l'espérance, 8
Le tresse avec des brins de fer. 8
Oui, sois de plus en plus géante, 8
Et devant la foule béante 8
15 Que charmeront tes fils vermeils, 8
Apparais, de clarté baignée, 8
Comme une toile d'araignée 8
Où vont se prendre les soleils. 8
Pendant les prochaines semailles, 8
20 Luis, resplendis avec tes mailles, 8
Brille, joyau prestigieux 8
Et séduis l'œil par ta caresse, 8
Filigrane ajouré, que tresse 8
Un orfèvre prodigieux. 8
25 On verra, dans leurs vols énormes, 8
Accourir vers tes plates-formes 8
Le hardi faucon, le gerfaut, 8
Les vautours, les aigles voraces ; 8
Mais en contemplant ces terrasses, 8
30 Ils trouveront que c'est trop haut. 8
Monte encor, Tour démesurée ! 8
Le dieu de la mer azurée 8
Et de l'ouragan libyen, 8
Dit à l'équipe ralliée 8
35 De Babel réconciliée : 8
Venez, à présent. Je veux bien. 8
La Tour grandit et, sur son faîte, 8
Invincible, dressant la tête, 8
L'Homme ouvrant tout grands ses yeux clairs, 8
40 Pourra, dans ses jeux ordinaires, 8
Prendre dans ses mains les tonnerres 8
Et jouer avec les éclairs. 8
Car, autrefois chaste et jalouse, 8
Maintenant, la Science épouse 8
45 L'Homme et, regardant l'Orient, 8
Pour lui déchire tous les voiles 8
Qui lui dérobaient les étoiles, 8
Et baise sa bouche, en riant. 8
Sans craindre que rien la meurtrisse, 8
50 La Science libératrice, 8
Dans sa main tenant une faux 8
Que l'on ne voyait pas naguère, 8
Moissonnera les deuils, la guerre, 8
Les canons et les échafauds. 8
55 Tour, grand lys fleuri dans l'espace, 8
Colosse de force et de grâce ! 8
Épouvantant le doute amer, 8
Les certitudes et l'extase 8
Reviendront caresser ta base, 8
60 Comme les vagues d'une mer. 8
Et, malgré le vent, qui s'effare, 8
Ton veilleur, auprès de son phare, 8
A l'heure divine où le bruit 8
S'éteint dans la nature fée, 8
65 Entendra la Lyre d'Orphée 8
Guider les astres, dans la nuit. 8
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