Métrique en Ligne
BAN_16/BAN656
Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XXIII
Lapins
Les petits Lapins, dans le bois, 8
Folâtrent sur l'herbe arrosée 8
Et, comme nous le vin d'Arbois, 8
Ils boivent la douce rosée. 8
5 Gris foncé, gris clair, soupe au lait, 8
Ces vagabonds, dont se dégage 8
Comme une odeur de serpolet, 8
Tiennent à peu près ce langage : 8
Nous sommes les petits Lapins, 8
10 Gens étrangers à l'écriture 8
Et chaussés des seuls escarpins 8
Que nous a donnés la Nature. 8
Près du chêne pyramidal 8
Nous menons les épithalames, 8
15 Et nous ne suivons pas Stendhal 8
Sur le terrain des vieilles dames. 8
N'ayant pas lu Dostoïewski, 8
Nous conservons des airs peu rogues 8
Et certes, ce n'est pas nous qui 8
20 Nous piquons d'être psychologues. 8
Exempts de fiel, mais non d'humour 8
Et fuyant les ennuis moroses, 8
Tout le temps nous faisons l'amour, 8
Comme un rosier fleurit ses roses. 8
25 Nous sommes les petits Lapins, 8
C'est le poil qui forme nos bottes, 8
Et, n'ayant pas de calepins, 8
Nous ne prenons jamais de notes. 8
Nous ne cultivons guère Kant ; 8
30 Son idéale turlutaine 8
Rarement nous attire. Quant 8
Au fabuliste La Fontaine, 8
Il faut qu'on l'adore à genoux ; 8
Mais nous préférons qu'on se taise, 8
35 Lorsque méchamment on veut nous 8
Raconter une pièce à thèse. 8
Étant des guerriers du vieux jeu, 8
Prêts à combattre pour Hélène, 8
Chez nous on fredonne assez peu 8
40 Les airs venus de Mitylène. 8
Préférant les simples chansons 8
Qui ravissent les violettes, 8
Sans plus d'affaire, nous laissons 8
Les raffinements aux belettes. 8
45 Ce ne sont pas les gazons verts 8
Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes 8
Et, qui pis est, au bout des vers 8
Nous ne dédaignons pas les rimes. 8
En dépit de Schopenhauer, 8
50 Ce cruel malade qui tousse, 8
Vivre et savourer le doux air 8
Nous semble une chose fort douce, 8
Et dans la bonne odeur des pins 8
Qu'on voit ombrageant ces clairières, 8
55 Nous sommes les tendres Lapins 8
Assis sur leurs petits derrières. 8
logo du CRISCO logo de l'université