Métrique en Ligne
BAN_16/BAN655
Théodore de BANVILLE
SONNAILLES ET CLOCHETTES
1888
XXII
Peinture
Elle était blanche comme un cygne 8
Et parfaitement nue, et puis 8
Sans aucune feuille de vigne, 8
Car elle sortait de son puits. 8
5 Moi, je pris le blanc et le rouge 8
Et sur son visage et son flanc, 8
Sans souci du zéphyr qui bouge, 8
Fier, je mis du rouge et du blanc. 8
Avec ces couleurs de théâtre, 8
10 Que sans remords nous étalons, 8
Je maquillai son corps folâtre 8
De la nuque jusqu'aux talons. 8
Et je disais : Le Beau respire 8
Chez l'auteur suave et mesquin ; 8
15 Aussi doit-on, fuyant Shakspere, 8
Aimer éperdûment Berquin ! 8
Épris de la gloire et du lucre, 8
Il serait bon qu'on les briguât 8
Avec une Revue en sucre 8
20 Et des romanciers en nougat ! 8
Pas de choses éblouissantes ! 8
Foin de la Rose au cœur vermeil ! 8
Surtout craignez les indécentes 8
Éclaboussures de soleil ! 8
25 On peut célébrer le Hanôvre, 8
Ou Londres, avec Tom et Bob ; 8
Mais que la rime soit très pauvre ! 8
Oh ! beaucoup plus pauvre que Job ! 8
Certes, le vrai morceau de prince 8
30 Qu'il faut louanger en un lai, 8
C'est une demoiselle, mince 8
Comme un svelte manche à balai. 8
Le style très sobre, sans honte 8
Avec la vertu correspond : 8
35 Ce sont les vrais lions de fonte 8
Qui rugissent au bout du pont ! 8
Ainsi je parlais, magnanime, 8
Tâchant, dans ma péroraison, 8
D'agenouiller la nymphe Rime 8
40 Sous le dur fouet de la Raison. 8
Et toujours, avec politesse, 8
Éteignant la pourpre du sang, 8
Parmi les lys de la déesse 8
Je mettais du rouge et du blanc. 8
45 Et comme, en cette ardente fièvre, 8
Sur le rouge, sans l'effacer, 8
Je passais la patte de lièvre, 8
Un critique vint à passer. 8
Alors, tout à coup faisant halte, 8
50 Oubliant sa rédaction, 8
Il admira, droit sur l'asphalte, 8
Mes discours et mon action. 8
Que vois-je ? Quel est ce prodige ? 8
Dit-il avec sévérité. 8
55 Que faites-vous là ? — Moi ? lui dis-je ; 8
Mais — je farde la Vérité ! 8
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