Métrique en Ligne
BAN_13/BAN572
Théodore de BANVILLE
OCCIDENTALES
1875
Un Chant National, s'il vous plaît
C'est la Chanson, La Marseillaise, 8
Ivre d'espérance et de jour, 8
Qui s'élançait de la fournaise, 8
Vierge, avec son grand cri d'amour ! 8
5 C'est elle, âme de la Patrie, 8
Qu'avec leurs grands cœurs ingénus 8
Suivaient, en leur idolâtrie, 8
Les jeunes soldats aux pieds nus ! 8
Jeune, dédaigneuse, immortelle, 8
10 Effrayant les astres jaloux, 8
Elle vous touchait de son aile, 8
Soleils épouvantés, et vous, 8
Batailles aux profondeurs noires, 8
Et tenait dans sa forte main 8
15 Le groupe effaré des Victoires, 8
Qu'elle emportait dans son chemin ! 8
Elle marchait, lançant la foudre 8
Sur les rois d'orgueil enivrés, 8
Et de nos drapeaux, noirs de poudre, 8
20 Elle agitait les plis sacrés. 8
La grande Chanson, qui s'élance 8
Dans les airs pour vaincre et punir, 8
A présent garde le silence, 8
Les yeux fixés sur l'avenir. 8
25 Lorsqu'elle relève sa tête, 8
On croit entendre, au fond des cieux 8
Et dans l'horreur de la tempête, 8
Mugir les clairons furieux, 8
Et, sous les chênes centenaires, 8
30 Va grondant le bruit souverain 8
Des lourds canons, et les tonnerres 8
Que font les chariots d'airain. 8
A ses pieds, docile et farouche 8
Et caché dans l'ombre à demi, 8
35 Tressaille, ouvrant parfois la bouche, 8
Son courroux, lion endormi, 8
Et, tranquille, tenant son glaive 8
Qui reflète un rayon de feu, 8
Cette Pensée auguste rêve, 8
40 Calme et terrible comme un dieu. 8
Alors, tandis que ses yeux lisent 8
Au fond de l'azur infini, 8
Des passants viennent et lui disent : 8
Guerrière, ton règne est fini. 8
45 Oui, nous avons, — c'est une affaire, 8
Des rimes pauvres à placer. 8
Tu n'es plus rien. Nous allons faire 8
Une Ode pour te remplacer. 8
La Déesse, dont la main joue 8
50 Avec le glaive aux reflets clairs, 8
Lève ses beaux yeux et secoue 8
Son front environné d'éclairs. 8
Admirant leur pas qui trébuche, 8
Elle voit le long peloton 8
55 Des musiciens en baudruche 8
Et des poëtes en carton, 8
Puis Jocrisse, embrassant la lyre 8
D'un air tendre et virgilien, 8
Et leur dit avec un sourire : 8
60 Faites la Chanson. Je veux bien. 8
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