Métrique en Ligne
BAN_13/BAN555
Théodore de BANVILLE
OCCIDENTALES
1875
Leroy s'amuse
Le soleil continue à tout chauffer à blanc. 12
Du fond de sa rouge fournaise 8
Il nous vise, et chacun de nous emporte au flanc 12
Une de ses flèches de braise. 8
5 Plus cruel que Néron et que Domitien, 12
Pour griller ce que nous aimâmes, 8
Ce bourreau sur son front d'académicien 12
Met une perruque de flammes ! 8
Ah ! pour le supporter, ce dur soleil roussi, 12
10 Qui, desséchant les jouvencelles, 8
Nous met sa torche aux yeux, et qui nous fait aussi 12
Manger des gerbes d'étincelles, 8
Il faudrait être enfin plus doux que Babylas 12
Et plus patient qu'Athanase, 8
15 Car il nous a, pendant ces jours derniers, hélas ! 12
Dévoré même le Gymnase ! 8
On y meurt tout de bon : la feuille de vigne y 12
Semblerait trop chaude, ô mon Ode ! 8
Et tous les spectateurs de monsieur Montigny 12
20 Sont changés en bœuf à la mode. 8
Voyant cela, l'auteur de Chemin retrouvé, 12
Pâle et debout contre un pilastre 8
De ce théâtre si rudement éprouvé, 12
Fit ce petit discours à l'Astre : 8
25 O Phébus-Apollon ! photographe changeant 12
Qui vient laper l'eau dans les auges 8
Et qui nous romps le crâne avec ton arc d'argent, 12
Tu n'es qu'un franc-tireur des Vosges ! 8
Ah ! montreur de seins nus qui fais le Richelieu ! 12
30 Coiffeur qui poudres cette ville ! 8
Joueur de violon et de lyre ! vieux dieu 12
Bon pour Ménard et pour Banville ! 8
Comment ! Régnier et moi, nous donnons, vieil archer, 12
— Tranchons le mot, — un pur chef-d'œuvre ; 8
35 Et toi, rose et brûlant, tu viens nous le lécher 12
Avec tes langues de couleuvre ! 8
Pour notre bonbonnière abandonnant les cieux, 12
Parmi nos loges tu t'installes, 8
Et tu viens cuire à point les crânes des messieurs 12
40 Qui se sont assis dans les stalles ! 8
Même jeu sur la scène. On voit que les pompiers, 12
Incendiés par tes extases, 8
Entrent en fusion et coulent à nos pieds : 12
On pourrait en faire des vases ! 8
45 Tu changes en charbons le riche lampas qu'a 12
Drapé mon directeur artiste, 8
Et, grâce à toi, le front de madame Pasca 12
S'enflamme comme une améthyste ! 8
Tu grilles sans pitié Massin, dont la chanson 12
50 Vaut bien mieux que celle d'un merle, 8
Et tu fonds lâchement Béatrice Pierson, 12
Comme Cléopâtre sa perle ! 8
La pauvre Mélanie a des feux sur ses doigts : 12
Berton s'efface dans la brume, 8
55 Villeray s'amincit comme un fil, et je vois 12
A l'horizon Landrol qui fume ! 8
Soleil, moi, vieux lion blanchi sous le harnois, 12
Crois-tu vraiment que je m'amuse 8
De te voir envoyer du monde à Cressonnois ? 12
60 Va-t'en ! laisse en repos ma Muse, 8
Ou, s'il fallait encor que ton bras assénât 12
Des coups sur cette fiancée, 8
Tremble, je te ferai flétrir en plein Sénat, 12
Comme on a fait pour monsieur Sée ! 8
65 C'est ainsi que Leroy, farouche, et par instants 12
De son pied tourmentant la plinthe 8
Du corridor, parlait au soleil du printemps 12
Et l'assourdissait de sa plainte. 8
Pourtant des spectateurs fort nombreux se montraient 12
70 Au contrôle, — tous grillés comme 8
Des biftecks. Ils entraient brûlés, mais ils entraient. 12
Ils versaient une forte somme ; 8
Et notre auteur, avec des sourires charmants, 12
Regardait parmi l'incendie 8
75 Ces tisons à demi consumés, et fumants, 12
Qui venaient voir la comédie ! 8
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