Métrique en Ligne
BAN_13/BAN551
Théodore de BANVILLE
OCCIDENTALES
1875
Le Petit-Crevé
Lyre, pinçant ta belle corde, 8
Je chanterai, car c'est mon plan, 8
Le Petit-Crevé, dont j'accorde 8
La découverte à Roqueplan. 8
5 De la Tamise jusqu'à l'Èbre, 8
On voit bâiller son pâle Ennui : 8
Comme crevé, l'Œil que célèbre 8
Hervé — n'est rien auprès de lui. 8
Plus endormi qu'une citerne, 8
10 Il végète. Faux col géant. 8
Favoris courts. Veston. L'œil terne. 8
Signes particuliers : Néant ! 8
Néant dans son regard qui boite, 8
Néant dans son gilet nouveau, 8
15 Et Néant dans la mince boîte 8
Où devrait être son cerveau ! 8
Nommez à ce petit, — qui crève 8
Avec un gant rouge à sa main, 8
Les grands espoirs qui sont le rêve 8
20 Et l'âme du génie humain ; 8
L'Art, cette auguste idolâtrie 8
Pour notre paradis natal, 8
L'Honneur, la Vertu, la Patrie, 8
La Beauté, ce lys idéal ; 8
25 Et, parmi ces choses divines, 8
La Liberté, dont tous les pas 8
Font tomber de vieilles ruines, 8
Il vous répondra : Connais pas ! 8
Mais que Rosaura qui s'arrose, 8
30 Chaque matin, comme un rosier, 8
Passe, en cheveux couleur de rose, 8
Dans une brouette d'osier, 8
Croyant à ce qu'elle dérobe, 8
Vite il court s'incliner devant 8
35 Cette sorcière, dont la robe 8
N'est, hélas ! pleine que de vent. 8
La grande cocotte funeste 8
Le fait longtemps poser debout 8
Au soleil. — Puis après, le reste 8
40 Du temps, que fait-il ? — Rien du tout. 8
De sa fumée errante et bleue 8
S'entourant pour faire florès, 8
Il voyage dans la banlieue, 8
Empaqueté comme un londrès. 8
45 On le voit dans cinq ou six gares 8
Par semaine, sous l'œil des cieux 8
Fumant en guise de cigares 8
Des troncs d'arbre prétentieux. 8
Aux Bouffes, (c'est là qu'il s'abonne,) 8
50 Il porte un stick céleste ; mais 8
Il marivaude avec sa bonne 8
Et savoure cet affreux mets ! 8
Et le soir, spectateur godiche, 8
Ce gandin, qu'on joue aux Menus- 8
55 Plaisirs, s'en va voir dans La Biche 8
De grands morceaux de femmes — nus. 8
Ou bien tu cours où l'on ricane, 8
Divin Petit-Crevé, car ton 8
Bonheur est de montrer ta canne 8
60 Dans les théâtres de carton ! 8
Mais que dis-je ! carton toi-même. 8
Plus fuyant qu'un ciel de Corot, 8
Tu passes, chimérique et blême, 8
Comme Antinoüs ou Pierrot ! 8
65 Être effacé, doux comme un ange 8
Et banal entre les fumeurs, 8
Tu vis, et rien en toi ne change, 8
O Petit-Crevé, quand tu meurs ! 8
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