Métrique en Ligne
BAN_13/BAN534
Théodore de BANVILLE
OCCIDENTALES
1875
La Pauvreté de Rothschild
L'autre jour, attendant vainement de l'argent 12
Qui me vient du Hanovre, 6
Je pleurais de pitié dans la rue, en songeant 12
Combien Rothschild est pauvre. 6
5 J'étais sans sou ni maille, appuyé contre un fût, 12
Ainsi que Bélisaire ; 6
Mais ce que je plaignis amèrement, ce fut 12
Rothschild et sa misère. 6
Oh ! disais-je, le temps c'est de l'argent. Eh bien ! 12
10 Sans que l'heure me presse, 6
Je puis chanter selon le mode lesbien, 12
Ne pas lire La Presse, 6
Me tenir au soleil chaud comme un œuf couvé, 12
Et, bayant aux corneilles, 6
15 Me dire que Laya, Ponsard et Legouvé 12
Ne sont pas des Corneilles ; 6
Je puis voir en troupeaux, menant dès le matin 12
Les Amours à leurs trousses, 6
Des drôlesses de lys, de pourpre et de satin, 12
20 Brunes, blondes et rousses ; 6
Je puis faire des vers pour nos derniers neveux, 12
Et, sans qu'il y paraisse, 6
Baiser pendant trois jours de suite, si je veux, 12
Le front de la Paresse ! 6
25 Et Paris est à moi, Paris entier, depuis 12
Le café que tient Riche 6
Jusqu'au théâtre où sont Alphonsine et Dupuis : 12
C'est pourquoi je suis riche ! 6
Mais lui, Rothschild, hélas ! n'entendant aucun son, 12
30 Ne faisant pas de cendre, 6
Il travaille toujours et ne voit rien que son 12
Bureau de palissandre. 6
Lorsque par les chevaux de flamme à l'Orient 12
Cent portes sont ouvertes, 6
35 Et que, plein de chansons, je m'éveille en riant, 12
Il met ses manches vertes. 6
Tandis que pour chanter les Chloris je choisis 12
Ma cithare ou mon fifre, 6
Lui, forçat du travail, privé de tous lazzis, 12
40 Il met chiffre sur chiffre. 6
Il fait le compte, ô ciel ! de ses deux milliards, 12
Cette somme en démence, 6
Et, si le malheureux s'est trompé de deux liards, 12
Il faut qu'il recommence ! 6
45 O Monselet ! tandis que, bravant l'Achéron, 12
Chez Bignon tu t'empiffres, 6
Le caissier de Rothschild dit : Monsieur le baron ! 12
Il faut faire des chiffres. 6
Oh ! que Rothschild est pauvre ? Il n'a pas vu Lagny ; 12
50 Il n'a jamais de joie. 6
Le riche est ce poëte appelé Glatigny, 12
Le riche c'est Montjoye. 6
O Muse ! que Rothschild est pauvre ! Aux bois, l'été, 12
Jamais le soleil jaune 6
55 Ne l'a vu. C'est pourquoi je suis souvent tenté 12
De lui faire l'aumône. 6
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