Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
TRENTE-SIX BALLADES JOYEUSES
1873
XXXI
Ballade, à sa Mère,
Madame Élisabeth Zélie de Banville
Toujours charmé par la douceur des vers, 10
Ne pense pas que je m'en rassasie. 10
Même à cette heure, en dépit des hivers, 10
J'ai sur la lèvre un parfum d'ambroisie. 10
5 Né pour le rhythme et pour la poésie, 10
Dans nos pays, où, tenant son fuseau, 10
Le long des prés où chante un gai ruisseau 10
Va la bergère au gré de son caprice, 10
Je surprenais les soupirs du roseau, 10
10 Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice. 10
Tout a son prix ; mais hors les lauriers verts, 10
Je puis encor tout voir sans jalousie, 10
Car chanter juste en des mètres divers 10
Serait ma loi, si je l'avais choisie. 10
15 Quand m'emporta la sainte frénésie, 10
Parfois, montant Pégase au fier naseau, 10
J'ai de ma chair laissé quelque morceau 10
Parmi les rocs ; plus d'une cicatrice 10
Marquait alors mon front de jouvenceau, 10
20 Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice. 10
Et je me crois maître de l'univers ! 10
Car pour orner ma riche fantaisie, 10
J'ai des rubis en mes coffres ouverts, 10
Tels qu'un avare ou qu'un sultan d'Asie. 10
25 Foin de l'orgueil et de l'hypocrisie ! 10
Comme un orfèvre, avec le dur ciseau 10
Dont mainte lime affûte le biseau, 10
Je dompte l'or sous ma main créatrice, 10
Car une fée enchanta mon berceau, 10
30 Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice. 10
Envoi
Ma mère, ainsi j'aurai fui tout réseau, 10
N'étant valet, seigneur ni damoiseau. 10
(Que de ce mal jamais je ne guérisse !) 10
J'aurai vécu libre comme un oiseau, 10
35 Tu le sais, toi, ma mère et ma nourrice. 10
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