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Théodore de BANVILLE
TRENTE-SIX BALLADES JOYEUSES
1873
XVIII
Ballade en quittant le Havre-de-Grâce
Enfin je pars et voici le navire. 10
Adieu, Paris joyeux ! adieu, tombeau ! 10
Vis sans savoir que Misère soupire, 10
Maigre, et saignant sur son vieil escabeau, 10
5 Et ses seins nus mal couverts d'un lambeau. 10
Vis dans ta haine et dans ton avarice ; 10
Moi, je m'envole au gré de mon caprice. 10
La voile s'enfle, éprise de l'éther, 10
Et, délivré, j'invoque ma nourrice, 10
10 La mer aux flots tumultueux, la mer ! 10
Adieu, prison où pleura mon martyre ! 10
Adieu, Gobsecks à l'âme de corbeau ! 10
La vague est là qui me berce et m'attire ; 10
L'archer divin, jeune, féroce et beau, 10
15 A sur la mer secoué son flambeau. 10
Dans sa splendeur, comme une impératrice, 10
Elle sourit, la grande séductrice ; 10
Et je respire, ivre du gouffre amer, 10
Pour que son souffle odorant me guérisse, 10
20 La mer aux flots tumultueux, la mer ! 10
J'entends passer comme un accord de lyre. 10
O lovelace en habit bleu barbeau, 10
Féru d'amour pour une tirelire, 10
Paris, adieu ! garde tes Mirabeau, 10
25 Et Ferraris et Juliette Beau ! 10
Amuse-toi ; que ton été fleurisse. 10
J'ai sous mes pieds la sainte inspiratrice 10
Dont l'âpre haleine a pénétré ma chair, 10
La grande mer, la mer consolatrice, 10
30 La mer aux flots tumultueux, la mer ! 10
Envoi
Toi, cœur blessé, ferme ta cicatrice. 10
L'algue éplorée aux verts cheveux lambrisse 10
Le roc ; je vois briller au soleil clair 10
La verte plaine où le flot se hérisse, 10
35 La mer aux flots tumultueux, la mer ! 10
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