Métrique en Ligne
BAN_10/BAN471
Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
L'Épée
Épée aux éclairs furieux, 8
Qui, vaillante et de sang trempée, 8
Dans la main des victorieux 8
Semblais vivre et combattre ; Épée 8
5 Qui brillais aux mains de Roland, 8
Toi dont toute chair lâche et vile 8
Craignait le choc étincelant, 8
Arme de Kléber et d'Achille ! 8
Ton rôle est désormais fini. 8
10 Ton noble fer, que rien n'imite, 8
N'est plus, en ce brouillamini, 8
Qu'un objet symbolique, un mythe. 8
Il dut, ainsi que tu le vois, 8
Céder à l'obus en délire, 8
15 Comme le piano de bois 8
A remplacé l'antique lyre. 8
Jadis, mieux valait, dans le choc 8
Des batailles âpres et dures, 8
Asséner de bons coups d'estoc 8
20 Que de dessiner des épures ; 8
Nous avons changé tout cela. 8
Désormais la sûre victoire 8
Est à celui qui se céla 8
Dans un trou, sous la terre noire. 8
25 Arès, ménager de ses pas, 8
(Certes, bien fol est qui s'y fie,) 8
Tourmente avec un grand compas 8
Des cartes de géographie ; 8
Et ce qui vous brise les dents, 8
30 C'est un large pavé de fonte 8
Avec du pétrole dedans : 8
La méthode est facile et prompte. 8
Épée à qui, si grands jadis, 8
Nous dûmes tout ce que nous sommes, 8
35 Guerrière plus pure qu'un lys, 8
O mâle compagne des hommes ! 8
Un bon arithméticien, 8
Dédaigneux des récifs épiques, 8
A vaincu ton orgueil ancien 8
40 Par des calculs mathématiques. 8
Et cependant, sous les cieux clairs 8
Où tu promenais l'épouvante, 8
Épée aux furieux éclairs, 8
Oh ! que tu fus belle et vivante, 8
45 Avant qu'en un pays dompté 8
Par sa patiente industrie, 8
Ce voyageur n'eût apporté 8
Sa boîte de géométrie ! 8
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