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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Vingt-neuf Janvier
Tristes d'une douleur austère, 8
Nos combattants, mornes, surpris 8
Et leurs fronts baissés vers la terre, 8
Viennent de rentrer dans Paris. 8
5 Plus de bataille ! Plus de fête ! 8
C'en est fini pour de longs jours, 8
Et l'on n'entend plus à leur tête 8
Ni les clairons ni les tambours ! 8
Voici les hommes intrépides 8
10 Des bataillons mobilisés, 8
Ces braves, du péril avides, 8
Par le hâle déjà bronzés. 8
Leurs fusils qui déchiraient l'ombre 8
Avec un flamboyant éclair, 8
15 Sont entourés d'un crêpe sombre. 8
Ils les portent, la crosse en l'air. 8
Sans que rien désormais les touche, 8
Ils s'en vont comme des troupeaux ; 8
Un crêpe aussi, noir et farouche, 8
20 Entoure les plis des drapeaux. 8
Puis, ce sont des soldats sans armes, 8
Spectacle amer et douloureux 8
Fait pour nous arracher des larmes ! 8
Qui parlent à voix basse entre eux. 8
25 Leurs officiers, comme aux parades 8
Impassibles, marchent au pas ; 8
Et, pensant à leurs camarades 8
Qui trouvèrent de beaux trépas, 8
Songent que la part la meilleure 8
30 Fut celle de ces combattants. 8
J'en vois un, déjà vieux, qui pleure, 8
C'est un Africain du bon temps, 8
Athlétique et de haute taille, 8
L'homme de bronze du devoir. 8
35 Une large balafre entaille 8
Son dur visage, presque noir. 8
Officiers ou soldats, qu'importe ! 8
En leur cœur dédaigneux et fier, 8
Tous ont une espérance morte 8
40 Dont ils portent le deuil amer. 8
Nos marins surtout, dont l'orage 8
Connaît si bien les fronts hâlés, 8
Pâles d'une muette rage, 8
Sont frémissants et désolés. 8
45 Ils promènent leurs regards vagues 8
Au loin, mornes, presque honteux, 8
Comme si le gouffre et ses vagues 8
Venaient de surgir devant eux. 8
A leur aspect, le cœur se brise. 8
50 Car il semble, à les voir ainsi, 8
Que de loin l'Océan leur dise : 8
Eh ! quoi, matelots, vous aussi ! 8
Et qu'en leur foule résignée, 8
Où s'amasse un âpre tourment, 8
55 La voix de la mer indignée 8
Se plaigne douloureusement ! 8
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