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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
La Fillette
Dimanche dernier, presque à l'heure 8
Où déjà va tomber le soir 8
Sur le grand Paris qu'il effleure, 8
Bruyant, et sur le pavé noir 8
5 Faisant une joyeuse tache 8
Avec son cortège ambulant, 8
Devant la pointe Sainte-Eustache 8
Se tenait un marché volant. 8
Une laitue, aujourd'hui chose 8
10 Fort rare et bonne pour les fous, 8
Grosse comme un bouton de rose, 8
Se vendait de six à huit sous. 8
Bref, comme partout, les légumes 8
Étaient hors de prix. — Mais la chair, 8
15 Quand on la revoit dans ces brumes ! 8
Le lapin était cher, fort cher. 8
Avec des fiertés non pareilles, 8
Victime que la gloire émeut, 8
Il semblait dire à ses oreilles : 8
20 Rothschild peut me manger, s'il veut. 8
Puis, comme au pays de Silvandre, 8
Une Églé, dans ces lieux forains 8
Avait apporté, pour la vendre, 8
Une cage avec des serins. 8
25 Car, dans ce Paris qui se montre 8
Héroïquement endurci, 8
Comme alouettes de rencontre 8
On mange les serins aussi. 8
Plus loin, d'une voix monotone, 8
30 Une vieille, aux regards peu francs, 8
Chantonnait : C'est pour rien ; je donne 8
Ma poule pour trente-six francs ! 8
Et la fuyant d'un air morose 8
Pour jusqu'au jugement dernier, 8
35 Je vis une fillette rose 8
Debout auprès d'un grand panier. 8
Belle comme un ange en visite, 8
Avec de grands yeux résolus, 8
Elle était petite, petite ; 8
40 Elle avait six ans tout au plus. 8
Je regardais, comme une étoile, 8
Ce pauvre être charmant, vêtu 8
D'une affreuse loque de toile. 8
Et toi, lui dis-je, que vends-tu ? 8
45 Et l'enfant, les pieds dans la boue 8
Près du bureau des omnibus, 8
Me dit vite, en enflant sa joue : 8
Moi, je vends des éclats d'obus ! 8
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