Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Celle qui reste
Allons ! applaudissez leurs drames. 8
Ici près, comme un noir tonnerre, 8
Un obus a frappé deux femmes, 8
Une jeune fille et sa mère. 8
5 Voyez, la jeune fille est morte. 8
Et la foule, mal résignée, 8
L'admire, gracieuse et forte 8
Et dans son sang toute baignée. 8
Elle ressemble aux fleurs vermeilles. 8
10 Pour élever cette enfant blonde, 8
La mère avait subi les veilles 8
Et l'enfer glacé, dès ce monde. 8
Pas de bois, peu de nourriture. 8
Mais elle était comme en délire 8
15 Quand l'enfant gracieuse et pure 8
La caressait dans un sourire ! 8
Elle se disait : Dans nos bouges 8
On a tout souffert : l'esclavage, 8
La faim, le froid ; mes yeux sont rouges ; 8
20 Mais j'ai gardé ma fille sage ! 8
Elle est simple, docile et juste, 8
Elle ne sera pas légère, 8
Quelque bon ouvrier robuste 8
La prendra pour sa ménagère : 8
25 Et l'ayant nourrie et baisée 8
Comme une mère valeureuse, 8
Ce jour-là, je mourrai brisée 8
Et bien lasse, mais bien heureuse. 8
Illusions ! songe qui navre ! 8
30 L'obus est tombé là : qu'importe ! 8
La jeune fille est un cadavre : 8
Elle ouvre son grand œil de morte 8
Où nul rayon ne se reflète ; 8
Et la voilà bien trépassée 8
35 Avec sa lèvre violette… 8
Mais la mère n'est que blessée. 8
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