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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Les Larmes
Dans l'air, où son drapeau qui bouge 8
Flotte au-dessus des chapiteaux, 8
Visant d'abord à la croix rouge 8
Qui protège les hôpitaux, 8
5 Et jonchant les nefs des églises 8
De tristes cadavres meurtris 8
Qui tombent sur les dalles grises, 8
Les obus pleuvent sur Paris. 8
Et tout là-bas, dans les fumées, 8
10 Les Allemands à l'œil flottant 8
Disent : Notre Dieu des armées 8
Dans les cieux doit être content. 8
Il se réjouit, d'ordinaire, 8
Lorsqu'au lieu de balbutier, 8
15 Nous faisons sortir un tonnerre 8
Du flanc de nos monstres d'acier. 8
Parmi ces orages de fonte, 8
La gaieté dilate son flanc 8
Lorsque vers sa narine monte 8
20 Une épaisse vapeur de sang. 8
Son calme regard qu'il promène 8
Sur la campagne hier en fleur, 8
Aime ces tas de chair humaine 8
Broyés, sans forme ni couleur, 8
25 Qu'a terrassés notre bravoure 8
Pour le triomphe de César ; 8
Et ce spectacle, il le savoure 8
Comme un délicieux nectar. 8
Car il est le Vengeur sinistre, 8
30 Coupant l'univers par moitié ; 8
La Guerre est son fauve ministre. 8
Il ne connaît pas la pitié. 8
Il ne permet qu'aux siens de vivre, 8
Et, sous des éclairs fulgurants, 8
35 Mieux que d'un cantique, il s'enivre 8
Du râle sombre des mourants. 8
Spectateur charmé par nos drames, 8
Il plaît à ce maître jaloux 8
De voir les enfants et les femmes 8
40 Exterminés comme des loups ; 8
Et dans les villes, ces auberges 8
Où tombent nos obus hideux, 8
Il aime à voir les corps des vierges 8
Brutalement coupés en deux. 8
45 Ainsi de vos lèvres pâmées 8
Louant, ô rêveurs Allemands, 8
Le farouche Dieu des armées 8
Que proclament vos hurlements, 8
Vous vous enorgueillissez même, 8
50 Lorsque souffle et mugit l'autan, 8
D'avoir mis ce cuirassier blême 8
Sur un vieux trône de Titan ; 8
Et vous trouvez encor des charmes 8
A l'assourdir de vos hurrahs. 8
55 Mais cependant, les yeux en larmes, 8
Jésus emporte dans ses bras, 8
Jusqu'aux cieux où montaient leurs râles 8
Mêlés à vos cris forcenés, 8
Les pauvres petits enfants pâles 8
60 Que vous avez assassinés. 8
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