Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
La Résistance
Statue de Falguière
La force immatérielle vaincra la force
brutale et, comme l'ange de Raphaël,
mettra le pied sur la croupe monstrueuse
de la bête.
Théophile Gautier, Musée de Neige.
O Paris ! un sculpteur qui pense 8
A ton grand cœur que rien ne tue, 8
A figuré ta Résistance 8
Dans une héroïque statue. 8
5 Frêle et vaillante, âme gauloise 8
Dans son amour puisant sa force, 8
D'un geste superbe, elle croise 8
Ses bras frémissants sur son torse ; 8
Son pied nu, qui sur une pierre 8
10 Se crispe avec idolâtrie, 8
Semble s'agrafer à la terre 8
Adorable de la Patrie ; 8
Comme pour dégager sa joue 8
A l'harmonieuse courbure, 8
15 Fiévreusement elle secoue 8
En arrière sa chevelure, 8
Et montre à l'adversaire horrible 8
Qui médite encor quelque ruse, 8
Sa tête, pour lui plus terrible 8
20 A voir que celle de Méduse. 8
Telle en sa blancheur est éclose 8
Cette belliqueuse Charite, 8
Que, dans sa merveilleuse prose, 8
Gautier, notre maître, a décrite. 8
25 Vivante dans la phrase ailée, 8
C'est là que la race future 8
Pour laquelle il l'a ciselée 8
La trouvera, splendide et pure. 8
Car plus fragile que le givre, 8
30 Cette Ode à nos jeunes armées 8
Était destinée à ne vivre 8
Que dans nos mémoires charmées. 8
En effet dans sa foi profonde 8
Pour une majesté si rare, 8
35 L'artiste qui la mit au monde 8
Avait dédaigné le Carrare ; 8
Même, pour une telle image, 8
Le Paros, dont la Terre est vaine 8
Parce que tout lui rend hommage, 8
40 N'eût pas eu d'assez blanche veine. 8
A cette tragique déesse, 8
Svelte et forte comme un jeune arbre, 8
Muse ! il fallait une caresse 8
Plus pure que celle du marbre ! 8
45 Et c'est pourquoi, tel qu'un poëte 8
Méditant sa divine stance, 8
Quand Falguière eut mis dans sa tête 8
De figurer la Résistance, 8
Il choisit la neige, — subtile, 8
50 Candide, étincelante, franche ; 8
La chaste neige en fleur, qu'Eschyle 8
Nomme la neige à l'aile blanche ; 8
La neige, près de qui l'écume 8
De la mer qui vogue indécise, 8
55 Et le lys sont gris, et la plume 8
Du cygne éclatant, paraît grise. 8
Il se souvint, l'âme éblouie, 8
Que rien, pas même un lys céleste, 8
N'égale en splendeur inouïe 8
60 L'ardente vertu qui nous reste ; 8
Et prenant la neige lactée 8
Pour la pétrir sous la rafale, 8
O Résistance, il t'a sculptée 8
Dans cette matière idéale. 8
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