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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Monstre vert
Doucement… ce n'était qu'un rêve… O
lâche conscience, comme tu me tourmentes !
Shakspere,Richard III.
De Moltke est assis. Triste, il bout 8
Dans ses colères anxieuses. 8
Près de lui se tiennent debout 8
Deux guerrières silencieuses. 8
5 L'une est plus pâle que la Mort. 8
Sa main en fuseau se termine, 8
Et, les dents longues, elle mord 8
Le vide. On la nomme Famine. 8
L'autre est terrible à voir. Rampants, 8
10 Sifflants, tordant leur annelure 8
Sur son front, un tas de serpents 8
Hideux lui sert de chevelure. 8
Son visage effroyable est vert ; 8
Et flamboyant sur ses dents plates, 8
15 Dans sa bouche, rictus ouvert, 8
Volent trois langues écarlates. 8
Une Gorgone sur le sein, 8
Chimère qui semble vivante, 8
Elle a dans ses mains le tocsin 8
20 Funèbre : on la nomme Épouvante. 8
Le général, dont les douceurs 8
Sont au-dessus de tout éloge, 8
Lève ses yeux vers les deux sœurs, 8
Et tour à tour les interroge. 8
25 Famine, dit-il, apprends-moi 8
Si les Parisiens se rangent. 8
Non, répond la Stryge. O mon roi, 8
Je n'ai pas de bonheur. Ils mangent ! 8
Problème profond comme un puits ! 8
30 Ils mangent ! C'est de la féerie, 8
S'écrie alors de Moltke. Puis 8
Interpellant l'autre Furie, 8
As-tu su les pousser à bout, 8
Guerrière, de serpents couverte ? 8
35 Demande-t-il. — Moi ? pas du tout, 8
Lui répond la figure verte. 8
Seigneur, le but n'est pas atteint ! 8
Ils ont vu (cela m'ensorcelle) 8
Que j'étais faite en papier peint, 8
40 Et que vous teniez ma ficelle ! 8
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