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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Versailles
Versailles regarde la route, 8
Muet et se sentant frémir, 8
Et son peuple de marbre écoute 8
La voix des fontaines gémir. 8
5 Maître des palais et des bouges, 8
Le roi Guillaume sort, coiffé 8
D'une casquette à galons rouges. 8
Il est simple, ayant triomphé. 8
A travers la campagne verte, 8
10 Il passe d'un air indulgent 8
Dans sa calèche découverte, 8
Entre deux cuirassiers d'argent. 8
Puis il rentre. O gaietés champêtres ! 8
Pendant qu'il dîne, on fait un peu 8
15 De musique sous ses fenêtres. 8
C'est bien modeste pour un dieu ! 8
Haïssant la lâcheté vile 8
Et mal instruits aux trahisons, 8
Tous les habitants de la ville 8
20 Sont enfermés dans leurs maisons. 8
Mais sous leurs cheveux en broussailles 8
Le visage de blanc couvert, 8
De fausses dames de Versailles 8
Agrémentent le tapis vert. 8
25 Ce sont les rousses fiancées 8
De tout le monde, — au cœur bavard, 8
Que, par décence, on a chassées 8
De nos cafés du boulevard. 8
Les officiers, par politesse 8
30 Pour des Phrynés que nous cotons, 8
Disent : Madame la comtesse, 8
Au nez rose de ces Gothons, 8
Et s'inclinent jusqu'à leur ventre. 8
Le soir vient. Lise et Turlupin, 8
35 Tout ce beau monde en carton — rentre 8
Dans quelque boîte de sapin, 8
Et sur toi, dans les maisons closes, 8
Sans lumière dans leur mur blanc, 8
France des épis et des roses, 8
40 On verse des larmes de sang ! 8
Cependant les officiers glabres, 8
Avec un cynisme innocent, 8
Font traîner lourdement leurs sabres 8
Sur le pavé retentissant, 8
45 Et l'on entend sous les murailles 8
Qui déjà tressaillent d'espoir, 8
Cet absurde bruit de ferrailles 8
Déchirer le silence noir. 8
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