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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Le Bavarois
Et ce que les Sarrazins et barbares iadis
appeloyent proesses, maintenant nous appelons
briguanderies et meschancetez…
Rabelais.
Comme le faisait autrefois 8
Cet héritier de Charlemagne 8
Dont l'ombre épouvantait les rois, 8
Le futur César d'Allemagne, 8
5 Le vieux roi Guillaume, rêvant 8
Globe d'or et pourpre enflammée, 8
Se promène à pas lents, devant 8
Le front immense d'une armée. 8
Joyeux, il flatte son coursier. 8
10 Puis il dit : — C'est bien. Plus d'entraves. 8
Les canons de bronze et d'acier 8
Et les Saxons — ont été braves. 8
Soldats ! Je suis content de vous ! 8
Nous prendrons Londres comme Vienne, 8
15 Et si l'un de vous est jaloux 8
De parler à son roi, qu'il vienne ! 8
A ces mots du doyen des rois, 8
Pâle et plus jaune que la cire, 8
Un jeune soldat bavarois 8
20 Quitte les rangs, et lui dit : — Sire ! 8
Les Bavarois ne sont pas gais. 8
Paris est gardé comme l'arche, 8
Et nous sommes tous fatigués 8
Depuis six grands mois que je marche. 8
25 De plus, une si grande faim 8
Nous déchire, sombre femelle, 8
Que je me résoudrais enfin 8
A manger du cuir de semelle ! 8
On ne nous nourrit que de vent, 8
30 C'est là ce dont nos cœurs s'émeuvent, 8
Et l'on nous met toujours devant 8
A l'endroit où les balles pleuvent. 8
Les jeunes comme les anciens 8
D'entre nous jonchent la clairière. 8
35 O mon roi ! quant aux Prussiens 8
De Prusse, ils sont toujours derrière. 8
Puis le froid vient nous épier 8
Et nous tient sous sa dent mortelle 8
Avec nos souliers de papier 8
40 Et nos capotes de dentelle ! 8
Ainsi le soldat qui pâlit 8
Défile son triste rosaire. 8
Le Roi lui dit : — Pauvre petit ! 8
J'aurai pitié de ta misère. 8
45 Tu souffrais quand je triomphais ! 8
Mais quoi ! je ne suis pas un Russe. 8
Allons, console-toi, — je fais 8
Notre Fritz maréchal de Prusse ! 8
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