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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Le Moineau
Rien n'est plus utile, rien n'est meilleur
que d'avoir des ailes.
Aristophane, Les Oiseaux.
Nous traversions une prairie 8
Dont le gazon à ciel ouvert 8
Brillait d'un éclat de féerie ; 8
Et sur son riant tapis vert, 8
5 D'où s'enfuit la blanche colombe 8
Emportant son léger fardeau, 8
Nous vîmes un éclat de bombe 8
Que la pluie avait rempli d'eau. 8
Tirailleur précédant sa troupe, 8
10 Un oiselet, un moineau-franc 8
Buvait à cette large coupe, 8
Dont le dehors, taché de sang, 8
Était enfoncé dans la boue. 8
Sans songer à rien de fatal, 8
15 L'oiseau folâtre, qui se joue, 8
Y buvait le flot de cristal. 8
Dans la prairie, où se lamente 8
Le zéphyr aux parfums errants, 8
Je vis cette chose charmante, 8
20 Et je m'écriai : Je comprends ! 8
Je comprends enfin. O prairie, 8
Sous ton beau ciel aérien 8
Ceux qui font la rouge tuerie 8
Ne l'auront pas faite pour rien ! 8
25 Je disais parfois, je l'avoue, 8
Pensant à ce qui nous est cher : 8
A quoi sert le canon qui troue 8
Toutes ces murailles de chair ? 8
A quoi bon tant de meurtrissures ? 8
30 Et, sous la mitraille de feu, 8
Toutes ces lèvres des blessures 8
Que l'on entend crier vers Dieu ? 8
Guerre ! il faut que tu me révèles 8
Pourquoi tes coursiers, en chemin, 8
35 Foulent des débris de cervelles 8
Où vivait le génie humain ! 8
Oui, je parlais ainsi, poëte 8
Ayant en souverain mépris 8
La bataille, sinistre fête. 8
40 Mais, à présent, j'ai tout compris ! 8
Non, ce hideux massacre, où l'homme 8
Égorge l'homme sans remords, 8
N'était pas inutile, en somme, 8
Puisque les amas de corps morts, 8
45 Tant de dépouilles méprisées, 8
Ces pâles cadavres cloués 8
A terre, ces têtes brisées, 8
Tous ces affreux ventres troués 8
Aboutissent à quelque chose. 8
50 Car s'éveillant, ô mes amis, 8
Sous le regard de l'aube rose, 8
Ce champ plein de morts endormis, 8
Ce charnier de deuil et de gloire 8
Au souffle pestilentiel, 8
55 A la fin sert à faire boire 8
Un tout petit oiseau du ciel ! 8
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